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rende injuste et méfiante. La Vénétie cédée, il fallait secourir l’Autriche, marcher sur le Rhin, imposer vos conditions ! Laisser égorger l’Autriche, c’est plus qu’un crime, c’est une faute. Cependant je croirais manquer à une ancienne et sérieuse amitié si je ne disais une dernière fois toute la vérité. Je ne pense pas qu’elle soit écoutée, mais je veux pouvoir me répéter un jour que j’ai tout fait pour prévenir la ruine de ce qui m’avait inspiré tant de foi et tant d’affection. »

Le gouvernement de l’empereur, on le voit, se trouvait à La Haye dans les meilleures conditions pour l’emporter sur les influences hostiles qui s’exerçaient sur l’esprit du roi et s’opposaient à l’aliénation de ses droits souverains sur le Luxembourg. Il disposait de l’active et sympathique intervention de la reine Sophie, et il était représenté auprès du roi par M. Baudin, qui, à toutes ses qualités diplomatiques, joignait un don précieux, celui d’inspirer la confiance. J’ajouterai que le concours du prince d’Orange nous était résolument acquis et qu’on comptait, dans une certaine mesure, sur l’appui du ministre des affaires étrangères, M. le comte de Zuylen. Toutefois on le savait « ondoyant et divers. »

M. Baudin fut mandé à Paris au mois de février. La mission qu’on allait lui confier était des plus délicates. Le roi de Hollande avait deux couronnes ; il s’agissait de l’amener à disposer de l’une d’elles par la simple persuasion, sans autre motif que des considérations d’intérêt général. Ce n’était pas une entreprise aisée. M. Baudin avait, il est vrai, pour lui faciliter la tâche, des alliés de premier choix, et il avait même à son service, sans qu’il s’en doutât, des moyens d’action que l’histoire a toujours évité de préciser. Mais notre diplomatie avait d’autre part à neutraliser l’intervention résolue du prince Henri des Pays-Bas, le frère du roi et son lieutenant-général dans le grand-duché, ainsi que celle de sa femme, une princesse de Weimar et la propre nièce du roi Guillaume. Toutes les deux représentaient l’influence allemande à la cour de La Haye. On savait qu’ils correspondaient avec Berlin et qu’ils reflétaient plus ou moins les sentimens de la cour de Prusse.

En prenant en main la négociation que lui confiait l’empereur, M. de Moustier, je crois l’avoir fait ressortir déjà, avait lieu de penser que les choses étaient plus avancées avec le cabinet de Berlin qu’elles ne l’étaient en réalité. Il devait croire, d’après le projet de traité arrêté au commencement de septembre entre M. de Bismarck et M. Benedetti et qu’il trouvait en arrivant de Constantinople tout libellé au ministère des affaires étrangères, que le roi Guillaume ne ferait aucune difficulté de retirer ses troupes d’une citadelle qu’il déclarait être sans importance stratégique pour la Prusse. Aussi sa