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Néanmoins, j’espère faire réussir le traité, quand vous jugerez le moment opportun, pour le remettre positivement sur le tapis. M. Tornaco (le président du gouvernement luxembourgeois) se montre très décidément Français ; il dit que l’annexion est la seule solution désirable pour le Luxembourg. »

À Berlin, la situation s’était sensiblement améliorée. Le président du conseil avait tenu à recevoir l’ambassadeur de France, bien qu’il fût sérieusement indisposé. Son indisposition n’avait cette fois aucun caractère politique. Loin d’exagérer son état, il essayait de le dissimuler. Il était pâle, défait, sensiblement affaibli par une douleur rhumatismale qui s’était fixée dans la région du cœur et qui l’empêchait de parler, et cependant il parlait avec une abondance inusitée, sans laisser à son interlocuteur le temps de le questionner. Le roi était toujours le grand obstacle avec ses hésitations désespérantes, mais le ministre ne perdait aucune occasion pour renouveler ses instances et lui arracher l’autorisation de négocier. Tout lui servait de prétexte pour le convaincre, ses conversations avec l’ambassadeur aussi bien que celles de l’empereur avec M. de Goltz. Il ne regrettait pas les représentations que M. de Moustier faisait à l’ambassadeur du roi au sujet des hésitations que ses ouvertures rencontraient à Berlin, et il voyait avec plaisir l’empereur lui-même en témoigner de la surprise et des regrets ; c’étaient autant d’argumens qu’on lui fournissait. Il était heureux de constater que le prince royal commençait à témoigner des dispositions plus favorables et à reconnaître que le seul moyen de conjurer la guerre et de ne pas compromettre les avantages acquis était de s’arranger avec la France. Aussi, tout permettant d’augurer que ses efforts ne resteraient pas infructueux, M. de Bismarck attendait-il avec impatience une manifestation dans le Luxembourg pour frapper les derniers coups et pour démontrer à sa majesté que les populations ne tenaient aucunement à garder sa garnison, comme elle se plaisait à le croire. Il justifiait la sincérité de ses intentions par les récentes déclarations qu’il aurait faites au ministre des Pays-Bas. Il lui aurait dit que la Prusse n’exigerait de la Hollande ni un pouce de territoire ni l’entrée de ses provinces dans la Confédération du Nord. M. de Bismarck avouait que les traités qui conféraient à la Prusse le droit d’occuper la citadelle de Luxembourg se trouvaient périmés à la suite des derniers événemens, et il était personnellement d’avis que, s’il plaisait au roi des Pays-Bas de nous faire la cession du grand-duché, non-seulement le gouvernement prussien n’aurait rien à y redire, mais qu’il ne lui resterait plus qu’à rappeler ses troupes, sans même attendre que nous lui en adressions la demande. « Faite avec mesure, ajoutait M. de Bismarck, cette demande lèverait bien des difficultés. » Il nous recommandait d’en