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trois et au grand jour. J’ai affirmé que la Prusse acceptera le fait accompli, tandis qu’elle se refuserait à traiter de la cession. J’ai ajouté qu’elle ne conserverait aucun mauvais vouloir contre la Hollande et serait accommodante pour le Limbourg. Après une longue discussion et une vive insistance, j’ai nettement proposé un traité de convention qui resterait secret jusqu’au vote de la population du grand-duché, une indemnité que nous tiendrions à honneur de rendre complètement satisfaisante pour sa majesté et un traité secret de garantie permanente de l’intégrité des Pays-Bas. J’ai insisté sur la nécessité de garder le secret et de laisser à la France le soin de tout régler avec la Prusse. Le roi m’a congédié en me disant : « Eh bien ! je ne dis pas non. » Il m’a promis le secret le plus absolu. J’avais déjà dans le courant de la journée amené M. de Zuylen à ces idées. Je le reverrai demain. Quel serait le maximum de l’indemnité ? Suis-je éventuellement autorisé à signer les deux projets que vous avez entre les mains ? » M. de Moustier répondit aussitôt : « Je vous félicite de ce premier succès. Puisque le roi consent au secret, nous le garderons à Berlin jusqu’à nouvel ordre. Vous pourriez signer les deux traités dès à présent, sauf à régler l’indemnité. L’empereur avait parlé de 4 à 5 millions. Tâtez le terrain sans dépasser cette limite, et voyez un peu ce que l’on pense. J’en reparlerai à l’empereur. Si vous voyez sa majesté, dites-lui combien nous sommes reconnaissans de la voir comprendre les nécessités de notre situation politique ; mais faites bien ressortir qu’il importe au succès que le soin de traiter avec Berlin nous soit absolument réservé. »

Tout semblait marcher au gré de nos désirs. Nos espérances se justifiaient à la fois à La Haye et à Berlin. Le roi de Prusse approuvait le langage encourageant que nous avait tenu son ministre, et le roi des Pays-Bas nous cédait pour quelques millions, dont le chiffre restait à débattre, ses droits souverains sur le Luxembourg. Le gouvernement de l’empereur pouvait donc affronter avec confiance des interpellations annoncées au corps législatif, certain qu’avant peu il serait en état de confondre ses détracteurs.

Il s’agissait pour l’opposition d’apprécier comment l’honneur et les intérêts de la France avaient été défendus dans le passé, et comment ils devaient l’être dans l’avenir. Le 16 mars, M. Thiers monta à la tribune au milieu de l’agitation frémissante de la chambre. Selon lui, le gouvernement impérial était le véritable auteur de l’unité allemande. Il avait substitué au principe de l’équilibre européen le principe des nationalités, dont il s’était fait en toute occasion le champion dévoué et l’apôtre persévérant, au détriment de la politique traditionnelle de la France. Les conséquences de cette politique ne s’étaient pas fait attendre. M. Thiers les avait prédites ;