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inégale, dont La Prusse victorieuse leur ferait payer les frais. L’alliance française, au lieu d’être une garantie, devenait un péril.

Les calculs de M. de Moustier étaient renversés par les scrupules imprévus que la peur inspirait au gouvernement hollandais. Il expédiait dépêches sur dépêches à Berlin et à La Haye, mais ses assurances et ses déclarations restaient sans effet. Il perdait du terrain plutôt qu’il n’en gagnait. M. de Bismarck se raidissait chaque jour davantage, et le roi de Hollande persistait plus que jamais dans sa résolution de s’expliquer directement avec la Prusse. Ses ministres, qui jadis le suppliaient de sacrifier le Luxembourg pour sauver le Limbourg, loin de le détourner de cette démarche, l’y encourageaient de toute leur autorité, et son frère, le prince Henri, pour vaincre ses dernières hésitations, lui adressait les reproches les plus amers. Le 22 mars, il annonçait à M. Baudin, que son parti était pris, qu’il allait écrire à Berlin une lettre qu’il aurait soin de communiquer préalablement à l’empereur. Il informerait le roi Guillaume que, dans l’intérêt de la paix européenne, il était prêt à nous céder le Luxembourg, mais qu’avant de consommer ce sacrifice, il désirait s’enquérir si la Prusse n’y verrait pas d’inconvénient.

M. Benedetti, prévenu sur l’heure, courut chez le président du conseil, qui ne lui cacha pas que la lettre du roi des Pays-Bas mettrait son souverain dans l’alternative de donner son adhésion écrite à la cession ou de la déconseiller. Il estimait que la démarche était inopportune et dangereuse. Il était certain que jamais le roi n’assumerait envers l’Allemagne, à un degré quelconque, la responsabilité de la cession. M. Benedetti aurait désiré que le président du conseil préparât du moins son souverain à la communication du roi de Hollande, mais M. de Bismarck préférait ne pas le tenter, il priait au contraire l’ambassadeur d’engager son gouvernement à redoubler d’efforts à La Haye pour conjurer la démarche.

On tournait dans un cercle vicieux. À Berlin, on voulait tout ignorer ; à La Haye, on demandait à tout divulguer. Notre diplomatie était réellement à plaindre. Elle se trouvait aux prises avec l’audace et la peur, qui ne raisonnent pas, elle parlait au nom d’un gouvernement dont la désorganisation militaire n’était plus un secret pour personne : elle était vouée à l’impuissance. « Je prépare une armée magnifique, écrivait Frédéric II à son ministre Podelwitz ; elle nous permettra de faire de la bonne politique. » M. de Bismarck disposait d’une armée magnifique organisée par le général de Roon et commandée par le comte de Moltke, il s’appuyait sur le sentiment national, il était le ministre d’un souverain éminent pénétré des traditions de sa maison ; il pouvait tout oser, poursuivre les combinaisons les plus hasardeuses : il savait la France découragée, divisée, sans