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satisfaction, mais il comptait bien qu’en échange nous lui ménagerions un dédommagement. Il nous demanderait sans doute de renoncer à notre traité de commerce avec le Mecklembourg pour lui permettre d’entrer dans le Zollverein ; c’était le moins que nous pussions faire pour la Prusse, car l’abandon du Luxembourg ferait peser sur lui et sur le roi une grave responsabilité. Aussi insinuait-il que les troupes pourraient bien être amenées, sous la pression de l’opinion publique, à détruire les travaux de la place avant de l’évacuer, car les fortifications avaient été en partie reconstruites et développées avec les deniers de l’Allemagne.

M. de Bismarck en revenait donc au démantèlement que déjà nous avions repoussé avec indignation. La réponse de l’ambassadeur fut catégorique ; il n’admettait pas qu’on pût prendre une mesure rappelant de douloureux souvenirs et que d’habitude on n’imposait qu’aux vaincus.

Lorsque l’entretien prenait une tournure délicate, M. de Bismarck avait recours à un dérivatif d’un effet certain, car il était de nature à dissiper tous les soupçons : il parlait du voyage du roi à Paris. Mais il parlait aussi de celui de l’empereur de Russie, et, une fois sur ce sujet, il ne tarissait pas. Il désirait savoir dans quels termes était libellée l’invitation adressée au tsar, et surtout si son séjour à Paris se combinerait avec celui du roi. Peut-être craignait-il que, seul à Paris, en dehors du contrôle de son oncle, et sous le charme des Tuileries, l’empereur Alexandre ne fût tenté de commettre quelque infidélité à l’alliance prussienne. Peut-être aussi, dans l’intérêt de sa politique, désirait-il démontrer, par l’arrivée simultanée des deux souverains, l’étroite intimité des deux gouvernemens. La persistance que le ministre mettait à revenir sur ce sujet devait frapper M. Benedetti ; aussi lui demandait-il, à son tour, quelle corrélation il voyait entre l’affaire du Luxembourg et le voyage des deux souverains. « C’est qu’à Pétersbourg, répondit M. de Bismarck, on s’imagine que la cession du Luxembourg pourrait bien être un obstacle au projet du roi. On y suit l’affaire avec une telle sollicitude, ajoutait-il, que c’est par le prince Gortschakof qu’il nous est revenu que vos négociations avec la Hollande étaient ouvertes. Il avait même prétendu que déjà le traité était signé. »

M. Benedetti ne savait que conclure ; il passait du doute à la confiance. Le roi aurait-il parlé de son voyage à Paris, M. de Bismarck nous aurait-il demandé à titre de dédommagement de délier le Mecklembourg de son traité de commerce, s’ils prévoyaient des complications ? Mais, d’un autre côté, pourquoi le ministre était-il revenu sur la question-du démantèlement, et pourquoi nous révélait-il les inquiétudes qui se manifestaient à Pétersbourg ? Que croire ? C’est