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de la connaissance qui nécessitent la foi. Quelle que soit la réserve avec laquelle on insiste sur ces lacunes, on ne peut cependant s’empêcher de les signaler, et en cela même on paraît faire cause commune avec le scepticisme. M. Ollé-Laprune n’échappe pas à cette nécessité de sa thèse, et il est assez piquant de voir ce croyant si convaincu se faire lui-même l’avocat du diable contre les quatre vérités qu’il veut nous imposer comme devoirs et élever contre elles des doutes qu’on s’attend d’ordinaire à voir paraître d’un autre côté.

La vie future, par exemple, est bien établie, selon l’auteur, par un raisonnement solide qui en prouve la nécessité morale. Mais que d’obscurités dans cette croyance! « Toutes les apparences sont contre : la seule vie que nous connaissions, c’est la vie du corps. » Sans doute, rien n’est détruit, rien n’est anéanti; mais l’indestructibilité de la matière n’empêche pas de profonds changemens et de perpétuelles métamorphoses. Notre être d’ailleurs ne pourrait-il pas subsister sans que la personne subsistât? « Voilà les apparences contraires que la raison peut nous présenter. Ces apparences, il faut les mépriser pour admettre la vie future. » C’est donc la foi qui rend visible ce qui ne l’est pas. Quod non sapris, quod non vides, animosa firmat fides.

Il en est de même de la croyance en Dieu. En effet, on ne dit pas ; Je sais que Dieu est; on dit : Je crois en Dieu. Dire simplement : Je sais que Dieu est, cela est froid, cela n’a pas de valeur morale; c’est une lumière sèche et sans chaleur. D’ailleurs l’obscurité se mêle tellement ici à la lumière que ce n’est pas là un objet de pure science. « Puis-je jamais prétendre, dit M. Ollé-Laprune, quand il s’agit d’un tel objet, que les preuves les plus solides réduisent à néant toutes les difficultés, dissipent tous les nuages? Si je suis sincère, je ne puis prétendre ceci; ce ne sont, à vrai dire, que vaines apparences et fantômes; mais encore faut-il que j’ose les mépriser ; Aude contemnere. »

La liberté est encore une vérité prouvée par l’expérience intime et par le raisonnement, cela est incontestable. Mais quelle chose mystérieuse que notre volonté! « Plus je veux approfondir la liberté, plus les difficultés augmentent. » Que d’oppositions s’élèvent contre elle ! que d’ombres l’enveloppent! que de prétextes à la résistance et au doute! C’est donc « une vérité, mais une vérité morale; » c’est « un fait, mais un fait moral. » Il faut l’admettre, mais admettre une chose malgré les obscurités et les difficultés qui s’y rattachent, c’est y croire. On passe donc encore ici de la sphère du visible à celle de l’invisible : il faut pour cela un acte de confiance, un acte de foi.