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à tout le monde et à toutes les opinions sans pouvoir en autoriser aucune en particulier, sans jamais conduire au droit ni au devoir d’affirmer au-delà de l’évidence ou d’une manière disproportionnée au degré de l’évidence?

L’auteur, avec un grand courage d’opinion dont nous lui savons gré et une remarquable souplesse de dialectique, essaie d’établir que la croyance en Dieu, alors même qu’elle ne serait pas absolument évidente, est un devoir pour la volonté; que l’athéisme n’est pas seulement une erreur, mais une faute, faute qui peut être sans doute atténuée par beaucoup de circonstances et qui même, en telles circonstances, pourrait être nulle, mais qui en soi et en principe est une faute ; « car, dit-il, comment pourrai-je croire que Dieu est si je n’affirme pas en même temps la vérité objective de cette croyance? et comment puis-je affirmer cette vérité objective sens l’imposer par cela même à tous les hommes qui pensent? Mais imposer une vérité, n’est-ce pas dire que tous les hommes doivent la reconnaître? n’est-ce pas dire que, s’ils ne la reconnaissent pas, c’est leur faute? Je ne puis donc croire en Dieu sans affirmer par là même que l’athéisme est coupable, sinon pour tel ou tel état de conscience que je ne puis connaître, au moins en soi. Car si l’athée apportait à la recherche de la vérité les dispositions morales nécessaires, nul doute que la vérité morale n’éclatât à ses yeux. »

Il y a encore bien des équivoques dans cette doctrine. Sans doute, si nous supposons un philosophe qui verrait clairement et distinctement que Dieu est nécessaire à la morale et qui rejetterait ensuite cette croyance volontairement pour ne pas subir le joug, pour se livrer à son orgueil et à ses passions, j’accorde que, dans une telle hypothèse, l’athéisme pourrait être coupable. Mais qui ne voit que l’argument peut être rétorqué? Imaginons en effet un philosophe qui ne voit pas clairement et distinctement que Dieu est nécessaire à la morale et qui cependant affirme cette vérité parce qu’elle plaît à son cœur, ou, ce qui serait encore d’un moindre prix, pour s’assurer la vie future et avoir un garant d’immortalité, en accordant que cette doctrine eût plus d’avantages pratiques que l’autre, cependant serait-elle moins blâmable au point de vue strictement philosophique, qui exige que l’intérêt personnel n’intervienne en rien dans aucune de nos affirmations? L’auteur prétend que l’athée est sous le joug de certains préjugés qui lui viennent de l’éducation. Mais n’y a-t-il pas des préjugés contraires? Et puisque l’on parle de l’éducation, n’agit-elle pas beaucoup plus en faveur des croyances religieuses que contre elles? L’auteur est trop éclairé pour oser reproduire ouvertement la doctrine souvent exposée contre les athées, à savoir que c’est pour se délivrer d’un joug et d’un frein et pour