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servilité, à la crainte de mourir, etc., de même que, de l’autre côté, on a imputé le scepticisme et l’incrédulité à l’orgueil, à la mauvaise foi. On se renvoie les uns aux autres les mêmes raisons, les mêmes argumens : on commence par se contredire, on finit par se haïr. Car comment ne pas haïr celui qui résiste volontairement à la vérité ? Chacun se considère comme centre, se croit le privilégié de la vérité et excommunie tout ce qui ne subit pas son credo. C’est le contraire de l’esprit philosophique, qui ne fait appel qu’à la raison et qui, reconnaissant chez tous la même raison, reconnaît à tous le même droit de chercher la vérité et en même temps le droit de se tromper ; car l’un ne va pas sans l’autre. Imputer à mauvaises intentions l’opinion de nos adversaires, c’est accepter d’avance la même inculpation pour nous-mêmes ; or, comme il n’y a pas de juge entre nous, il faut écarter de part et d’autre cette objection que l’on peut se renvoyer indéfiniment, suivant cette règle si judicieuse de saint Augustin : Omittamus ista communia, quæ dici ex utraque parte possunt.


III.

Il reste une dernière difficulté que nous ne devons pas écarter si nous voulons aller jusqu’au fond de la question, quoique l’auteur ne l’ait peut-être pas suffisamment creusée lui-même et ne lui ait pas donné toute sa valeur. Admettons, pourrait-il dire, que Dieu et la vie future ne soient que des vérités spéculatives, que ce ne soit pas un devoir d’y croire. Mais peut-on aller jusqu’à soutenir que ce ne soit pas un devoir de croire au devoir ? Ainsi, si nous remontons à la source des vérités morales, sans parler des postulats précédens, comme les appelle Kant, nous verrons qu’il y a au moins un cas où l’évidence n’est pas la règle seule de la vérité, où la morale a sa voix en même temps que la logique, où la volonté est tenue de faire preuve de bonne volonté, où elle se manque à elle-même en ne se faisant pas à elle-même sa propre croyance : c’est le cas de la loi morale, laquelle ne peut admettre qu’elle puisse être même un moment mise en suspicion, qu’elle puisse être contestée innocemment, et que par conséquent, lors même qu’elle ne s’imposerait pas à nous comme connaissance, elle s’imposerait encore à titre de croyance.

Nous n’hésitons pas à soutenir, même sur ce terrain, la liberté philosophique. Non, en philosophie, ce n’est pas un devoir de croire au devoir. Autrement, Descartes eût manqué au devoir en enveloppant la morale dans son doute méthodique, et en se contentant d’une « morale par provision. » Le Discours de la méthode serait une œuvre immorale. Bien loin d’en faire la base de l’enseignement