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la dépense que nécessita la fantaisie un peu trop prolongée de leurs femmes. Arrivé à Londres seulement le 13 mai, Montmorency descendit à Somerset-place ; il eut le lendemain sa première audience, où l’on n’échangea que les complimens habituels. Le 15 au matin, la prestation du serment eut lieu dans la chapelle du palais de Westminster. La cérémonie terminée, Élisabeth reçut nos ambassadeurs. De Foix la pria de lire d’abord la lettre autographe de Catherine, lui demandant sa main. Après l’avoir lue, pour toute réponse, elle appuya sur la grande différence d’âge, et, sans attendre une réplique, elle rompit l’entretien. Le reprenant le même jour, elle revint avec amertume sur les causes qui avaient amené la rupture de son mariage avec le duc d’Anjou. Montmorency plaida chaleureusement la cause du duc d’Alençon ; elle l’écouta complaisamment jusqu’au moment où on annonça le souper ; en se rendant à table, elle le pria de ne pas en reparler de quelques jours.

Le 20 mai, Élisabeth revit nos ambassadeurs ; cette fois, la question de la religion étant la seule à débattre, Montmorency et de Foix se reportèrent aux concessions que Smith avait faites à Blois pour le mariage du duc d’Anjou : Élisabeth fit semblant de ne pas se les rappeler. Le 22, retrouvant nos ambassadeurs dans le jardin du palais : « D’après vous, dit-elle à de Foix, le duc se contenterait de ce que j’ai accordé à son frère, mais je ne me souviens pas d’avoir rien accordé ; le désir d’assurer la sécurité de mes sujets peut seul me faire passer sur la disproportion d’âge. » De Foix répliqua qu’elle n’était pas si grande, le duc d’Alençon étant fort, vigoureux, capable de lui faire des enfans ; elle était habituée à gouverner, à commander seule, il valait donc mieux que son mari fût plus jeune et plus docile. De lui-même, et à plusieurs reprises, le duc avait demandé qu’on le mît à la place de son frère, se contentant de l’exercice privé de sa religion, sans bruit, sans scandale, tout disposé même à ce qu’on n’en parlât pas et consentant à assister aux cérémonies qui ne seraient pas trop contraires à sa religion, « Mais l’exercice même privé de cette religion pouvant amener des troubles, dit-elle, voudrait-il se passer de messe pendant quelque temps ? » De Foix répondit : « Tout prince sage et prudent cherche à éviter les causes de troubles et de divisions. » Elle le pria d’attendre jusqu’au lendemain sa réponse, qui fut évasive comme de coutume. Étant un peu pressée par de Foix, elle promit de faire part elle-même à Catherine des raisons qui retardaient sa décision. Le 25 mai, nos deux ambassadeurs, admis à la séance du conseil privé, insistèrent pour une prompte solution ; malgré leur instance, elle fut renvoyée à un mois. Le 29 mai, ils eurent leur audience de congé. Rendant compte de tout à Walsingham, Élisabeth lui écrivit que « ayant craint qu’un refus trop sec ne fût pour nos ambassadeurs un déplaisir trop sensible,