Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’en ouvrit à l’ambassadeur Valentin Dâle, qui ne lui cacha pas que, tant que la paix ne serait pas faite avec les protestans, il ne serait pas donné suite à ce projet. La cause du refus était tout autre : Élisabeth, qui l’aurait cru ? pensait à don Juan d’Autriche. Était-elle éblouie par l’éclat qui environnait le vainqueur de Lépante, ou bien, sachant que les Guise, d’accord avec Philippe II, réservaient à don Juan le chevaleresque honneur de délivrer Marie Stuart et de l’épouser, voulait-elle l’enlever à son éternelle rivale ? Quoi qu’il en fût, elle chercha à entamer avec don Juan une de ces nombreuses négociations de mariage dont abusait sa politique. « Elle m’a adressé un agent, écrivait don Juan à Philippe II, qui m’a fait des allusions indirectes à un mariage. Dois-je y donner suite ? Bien que je sois tenté de rendre une reine et un royaume à la vraie religion, je rougirais d’entamer une négociation avec une femme dont la vie et les exemples ont donné tant à dire. »

En traitant d’une trêve avec son fils d’Alençon, Catherine avait surtout voulu barrer le chemin au prince de Condé, qui, réfugié en Allemagne depuis la mort de Charles IX, n’attendait que le moment d’entrer en France avec le duc Jean-Casimir, le fils de l’électeur palatin. « Offrez-leur, avait-elle écrit le 11 décembre à Henri III, offrez-leur autant de terres qu’ils en voudront ; si attendez que les reistres soient entrés, ne sais si après ne serez contraint de leur accorder plus que ne voudrez. » Henri III ne tint aucun compte des conseils de sa mère. Les reîtres, après s’être longtemps arrêtés à Charmes, en Lorraine, envahirent le Bussigny, traversèrent la Bourgogne et, passant la Loire non loin de la Charité, vinrent se joindre au duc d’Alençon dans le Bourbonnais. À Catherine revint encore l’ingrate charge de traiter avec son fils et les reîtres : elle partit donc suivie de l’escadron volant de ses filles d’honneur. Rendez-vous avait été donné au château de Chantenay, près de Sens. L’or et les dépouilles de la France eurent plus de prise sur Jean-Casimir et ses froids Allemands que les avances des filles d’honneur de Catherine. Le duc d’Alençon reçut 100,000 livres ; son apanage s’augmenta du Berry, de la Touraine et aussi de l’Anjou, dont désormais il portera le nom. Henri III avoua tristement que cette paix lui avait coûté bien cher. M. de Berny fut chargé d’en instruire Élisabeth et de reparler du mariage ; mais à la première allusion qu’il fit à ce projet, Élisabeth, y coupant court, se contenta de promettre une bonne réception au duc s’il se décidait à venir la voir. Une des conditions du dernier traité entre Catherine et le duc d’Alençon avait été la convocation à bref délai des états-généraux. Étrange illusion, les protestans se promettaient beaucoup de leur réunion. Ravagée par les hommes de guerre, pillée par les reîtres, la France était lasse et affamée de repos ; elle ne séparait pas la cause des protestans