Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à cheval en deux jours la distance entre cette ville et Bapaume, il entrait le 7 juillet à Mons, où il était acclamé. Henri III, par l’entremise de Villeroy, lui fit proposer le marquisat de Salaces, offrant aussi de solliciter du pape la cession du Comtat-Venaissin, enfin il lui promettait de demander pour lui la main de la princesse de Mantoue, qui lui ouvrirait le chemin de l’Italie. Rejetant toutes ces illusoires propositions, le duc revint de lui-même à l’idée d’épouser Elisabeth. Le 30 juillet, il fit partir de Mons M. de Quincé, gentilhomme protestant, et M. de Bacqueville. Fidèle à la politique anglaise de tous les temps, Elisabeth ne voulait pas plus des Français dans les Flandres que des Espagnols ; tout en faisant semblant de prêter une oreille favorable aux avances amoureuses du duc, elle travaillait en secret à en déjouer ses projets. Grâce à ses subsides, le duc Jean-Casimir avait levé douze mille hommes et le 26 août rejoignait l’armée des états dans le voisinage de Malines. Don Juan se tenait alors enfermé dans son camp fortifié, près de Namur. Laissé dans un pays ennemi, sans argent, depuis trois mois, sans instructions de Philippe II, voyant la peste décimer ses soldats, il écrivait à son plus fidèle compagnon, don Pedro de Mendoza : « Notre vie est mesurée par quart d’heure ; nous languirons ici jusqu’à notre dernier soupir. » Dévoré par la fièvre et le chagrin, il expirait le 1er  octobre, victime de l’ingratitude et de l’abandon du roi son frère. Ces armes étaient aussi sûres que le poison.

Le duc d’Anjou allait passer par les mêmes déceptions qui avaient tué don Juan ; on lui avait bien donné le vain titre de « défenseur de la liberté des Pays-Bas ; » on avait bien signé à Anvers, le 20 août, un traité qui lui promettait la remise de certaines villes, mais pas une ne lui avait été livrée. Blessé de ce manque de foi, lassé de sa coûteuse inaction, il avait fait partir d’Anvers Bussy d’Amboise pour Londres. Bussy n’avait rien d’un diplomate, et sa réputation de duelliste n’était guère de mise à la cour timorée d’Elisabeth. D’un autre côté, Henri III, dans ses lettres de chaque jour, ne cessait de rappeler son frère. Le duc se rendit à de telles instances. Licenciant ses troupes, il se retira à Condé. Le 17 février, il partit pour Alençon. Cette rude leçon du moins lui avait servi. Il s’était enfin rendu compte qu’il fallait avoir de toute nécessité Elisabeth de son côté ou s’abstenir. Dans ce dessein, il chercha un ambassadeur moins compromis que Bussy et mieux vu de Henri III : il l’avait sous sa main dans Jean de Simier, le grand-maître de sa garde-robe.

Un historien contemporain a dit de Simier : « C’étoit un courtisan raffiné qui avoit une exquise connoissance des gaîtés d’amour et attraits de la cour. » Leicester, dont la clairvoyance n’était jamais en défaut, pressentit tout d’abord qu’il allait avoir un adversaire