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m’a dit que vous aviez engagé votre honneur avec un étranger, allant le trouver dans la chambre d’une dame là où vous le baisiez et usiez avec lui de privautés déshonnêtes, mais aussi lui révéliez les secrets du royaume, trahissant vos propres conseillers avec lui[1]. »

Sur ces entrefaites, au mois de juin, Duplessis-Mornay vint à Londres. Dans une audience, Elisabeth lui demanda ce qu’il pensait de son mariage avec le duc. Il répondit « qu’il pouvait faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal, suivant les conseils qu’aurait le duc. » Castelnau ne vit pas Mornay, mais s’aperçut bien vite qu’un changement s’était produit dans l’esprit d’Elisabeth. « Comme toutes les femmes, écrit-il à Catherine, elle est mue par diverses persuasions ; les étrangers se moquent de nous. » Il avait vu juste : lorsque Simier vint annoncer à Elisabeth que le duc arriverait dans les premiers jours d’août, elle ne donna aucun ordre pour sa réception. Sa tendresse pour Leicester parut un instant se réveiller. Il était urgent de frapper un grand coup ; Simier en eut l’audace ; il osa ce que personne n’avait osé jusqu’alors : sans aucune préparation, il apprit à la reine que Leicester était marié secrètement à Lettice Knollys, la veuve d’Essex. À cette révélation inattendue, elle entra dans une de ses colères de lionne, elle se roula par terre ; elle injuria tous ceux qui l’approchèrent, elle refusa de manger, elle fit enfermer Leicester dans un des forts de Greenwich ; sans l’intervention du prudent Sussex, elle l’aurait envoyé à la Tour. Hatton était aussi secrètement marié, ce fut une arme de plus dans les mains de Simier. La place était donc libre, le duc pouvait venir. D’après les conseils de Catherine, au mois d’avril dernier, il avait à l’improviste fait une visite de quelques jours au roi son frère, qui, loin de désapprouver son voyage, lui mit assez d’or dans les mains pour tenir royalement son rang. Parti de Paris le 2 août et n’ayant avec lui que l’Aubespine et quelques serviteurs, il s’embarqua à Boulogne, et à son arrivée alla droit à Greenwich, où était la reine. Il ne manquait ni d’esprit ni de pénétration. Castelnau le trouva même plus avisé pour son âge qu’il ne le pensait. Elisabeth lui avait fait préparer un appartement tout près du sien ; pour être plus libre, il le refusa, mais, s’étant mis dès le premier jour sur un pied de familiarité intime, il passait ses journées avec elle, et ne la quittait qu’à deux heures après minuit. Dans la même lettre où elle reproche à Elisabeth ses galanteries avec Simier, Marie Stuart ne l’épargne pas davantage au sujet du duc : « Vous vous êtes déportée, dit-elle, avec lui de la même dissolution qu’avec Simier ; une nuit vous

  1. Cette lettre autographe a été copiée par le prince Labanof dans le chartrier du marquis de Salisbury, héritier des papiers du ministre Cecil.