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doute, à l’époque des dernières élections anglaises, lord Beaconsfield n’attendait pas la réunion du parlement pour remettre le pouvoir entre les mains de la reine. C’était tout simple, la lutte était si nettement engagée entre les conservateurs et les libéraux, entre lord Beaconsfield et M. Gladstone, que le scrutin parlait de lui-même. Le chef des tories n’avait plus qu’à s’effacer devant une manifestation évidente et précise de l’opinion, devant le succès de son heureux rival marchant à la tête d’une majorité ralliée à son drapeau, conquise par son ascendant. Il n’y avait ni subterfuge ni équivoque possible ; mais ici le ministère français s’est cru, s’est dit victorieux avec la majorité qui est sortie des élections, devant laquelle il a maintenant à paraître. Une démission anticipée prend nécessairement un autre sens. Si le ministère se retire avant l’heure, ce n’est pas précisément par respect pour une correction parlementaire, qui n’est point en question, c’est parce qu’en définitive, il s’affaisse sous le poids des fautes qu’il a accumulées, et parce qu’il se voit menacé par la prépotence d’un homme qui, après avoir fait ou défait des ministères, après avoir embarrassé plus d’un cabinet, aspire à avoir lui-même son cabinet.

Disons le mot. Dans cet interrègne confus du moment, les raisons de légalité parlementaire ont, de part et d’autre, moins de place que les calculs et les jeux de tactique. M. le président du conseil, malgré la fierté de ses discours, n’en est point, selon toute apparence, à sentir ce qu’à y a de grave dans ces responsabilités que le gouvernement a assumées, surtout depuis quelque temps, avec les affaires d’Afrique, et il s’est probablement dit que le meilleur moyen d’atténuer une crise imminente était de laisser le terrain libre, de se prêter plus ou moins spontanément à une combinaison où M. Gambetta aurait le premier rôle. Peut-être aussi, dans le sentiment de son importance, s’est-il dit qu’en évitant des scissions trop vives, il pourrait continuer à diriger l’instruction publique et représenter en quelque sorte la transition du ministère qu’il préside au ministère nouveau, où il ne sjrait plus qu’un « lieutenant. » D’un autre côté, M. Gambetta, qui, au premier moment, au lendemain des élections, a paru désirer la retraite de M. Jules Ferry et de ses collègues, n’a plus semblé depuis la souhaiter aussi vivement, au moins à une échéance immédiate. Lui aussi, il a l’air d’avoir fait son raisonnement et son calcul. Il s’est vraisemblablemenî dit que, puisqu’il y avait des responsabilités assez lourdes, ce qu’il y avait de mieux était de les laisser tout entières à ceux qui les avaient prises, et que ce qu’il y avait de plus commode pour lui était de ne pas s’en charger, de n’accepter tout au moins l’héritage que sous bénéfice d’inventaire. Il a adopté le thème des liquidations nécessaires avant la reconstitution d’un gouvernement issu de la majorité nouvelle, et il a laissé ses amis démontrer de la manière la plus pressante que le cabinet ne pouvait faire autrement que d’aller jusqu’au