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m’expliquer ni de ma conduite ni de mes intentions, mais que j’étais surpris d’entendre tenir un pareil langage par lui, qui s’était si souvent plaint de la persistance de mes démarches pour hâter la conclusion d’une alliance. » La diplomatie a aussi ses martyrs.

Pendant que M. de Moustier et M. Benedetti échangeaient leurs idées et passaient en revue les moyens les plus efficaces pour sortir avec les honneurs de la guerre d’une situation compromise, le comte de Beust entrait en lice. C’était sa première campagne diplomatique, c’était la première fois qu’il parlait au nom d’une grande puissance dans l’intérêt d’une cause précieuse, celle de la paix. Il se multipliait et mettait ses ambassadeurs sur les dents ; il s’efforçait de galvaniser le prince Gortchakof, il se concertait avec lord Stanley, il faisait entendre à M. de Bismarck, qui en avait grand besoin, le langage de la modération. Ses combinaisons étaient multiples ; il n’y mettait pas d’amour-propre d’auteur, il les modifiait suivant les chances qu’elles avaient d’être agréées. Mais il avait eu grand soin, avant de rien entreprendre, de bien définir la situation de l’Autriche. Il avait déclaré qu’elle resterait neutre et qu’elle ne prendrait conseil, dans le cours des événemens, que de ses intérêts propres. Ce n’était pas ce qu’on attendait à Paris, et encore moins à Berlin. Le gouvernement prussien s’imaginait que l’Autriche, battue, oubliant qu’elle avait été expulsée violemment de l’Allemagne, se rappellerait les liens du passé, et le gouvernement impérial se flattait qu’elle céderait à ses ressentimens et qu’elle chercherait à reprendre la situation dont elle avait été dépossédée. M. de Beust devait détromper à la fois le cabinet de Berlin et la cour des Tuileries.

« Vos derniers télégrammes, écrivait-il au prince de Metternich, à la date du 8 avril, dépeignent une situation des plus critiques. On serait alarmé à Paris de bruits d’alliance entre Vienne et Berlin, et vous me prévenez que l’empereur Napoléon pourrait bien faire une tentative pour se rapprocher de l’Autriche. Rien dans notre attitude ne justifie ce désir ni ces inquiétudes. Le gouvernement impérial ne s’est engagé d’aucun côté, il conservera sa liberté d’action et d’appréciation. Il est vrai que de Berlin et de Munich on nous a fait quelques avances. Nous y avons répondu poliment et évasivement. Vous verrez par la dépêche que j’ai adressée au comte de Trauttmansdorf que mon langage ne compromet en rien la pleine liberté que j’entends me réserver. » C’était une fin de non-recevoir que nous adressait M. de Beust ; elle coupait court aux ouvertures dont le prince de Metternich et le duc de Gramont s’étaient rendus les interprètes auprès du gouvernement autrichien. Mais, en nous refusant l’alliance, M. de Beust nous délivrait du moins d’un gros souci ;