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on le donnait aux enfans ; c’était le grand signe de la communion et de la fraternité. L’agape, ou repas du soir en commun, non distingué d’abord de la cène, s’en séparait de plus en plus et dégénérait en abus. La cène, au contraire, devenait essentiellement un office du matin. La distribution du pain et du vin se faisait par les anciens et par les diacres. Les fidèles les recevaient debout. Dans certains pays, surtout en Afrique, on croyait, à cause de la prière : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien, » devoir communier tous les jours. On emportait, pour cela, le dimanche, un morceau de pain bénit, que l’on mangeait chez soi en famille, après la prière du matin.

On se plut, à l’imitation des mystères, à entourer cet acte suprême d’un profond secret. Des précautions étaient prises pour que les initiés seuls fussent présens dans l’église au moment où il se célébrait. Ce fut presque l’unique faute que commit l’église naissante ; on crut, parce qu’elle recherchait l’ombre, qu’elle en avait besoin, et cela, joint à bien d’autres indices, fournit des apparences à l’accusation de magie. Le baiser sacré était aussi une grande source d’édification et de dangers. Les sages docteurs recommandaient de ne pas le redoubler si l’on y sentait du plaisir, de ne pas s’y prendre à deux fois, de ne pas ouvrir les lèvres. On ne tarda pas, du reste, à supprimer le danger en introduisant dans l’église la séparation des deux sexes.

L’église n’avait rien du temple, car on maintenait comme un principe absolu que Dieu n’a pas besoin de temple, que son vrai temple, c’est le cœur de l’homme juste. Elle n’avait sûrement aucune architecture qui la fit reconnaître ; c’était cependant déjà un édifice à part ; on l’appelait « la maison du Seigneur, » et les sentimens les plus tendres de la piété chrétienne commençaient à s’y attacher. Les réunions de nuit, justement parce qu’elles étaient interdites par la loi, avaient un grand charme pour l’imagination. Au fond, quoique le vrai chrétien eût les temples en aversion, l’église aspirait secrètement à devenir temple ; elle le devint tout à fait au moyen âge ; la chapelle et l’église de nos jours sont bien plus près de ressembler aux temples anciens qu’aux églises.

Une idée bientôt répandue contribua beaucoup à cette transformation ; ou se figura que l’eucharistie était un sacrifice, puisqu’elle était le mémorial du sacrifice suprême accompli par Jésus. Cette imagination remplissait une lacune que la religion nouvelle semblait offrir aux yeux des gens superficiels, je veux dire le manque de sacrifices. De la sorte, la table eucharistique devint un autel, et il fut question d’offrandes, d’oblations. Ces oblations, c’étaient les espèces mêmes du pain et du vin que les fidèles aisés apportaient,