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vertueux, intelligens et patriotes au commencement du XIXe siècle. Ce Kœnig est venu se fixer dans la province de Silésie, dont son ancêtre fut un des obscurs conquérans. Le roman débute en 1805, par un tableau assez vivant des mœurs locales. Dès les premières pages, on se rend compte du rôle important de la brasserie, petit forum allemand où chaque classe discute les affaires publiques, selon ses lumières ou ses passions. Chacun se donne de l’importance et tient son rang : il y a la table des officiers nobles, celle des fonctionnaires et celle du tiers-état. L’arrogance des hobereaux s’y étale impudemment. Ils se vantent, au bruit des brocs à bière, de mettre en fuite Napoléon et toute sa « clique républicaine » avec un seul régiment de hussards prussiens. Dans leur coin, les bourgeois froissés, les petits commerçans cachent à peine leur sympathie pour la révolution : l’un d’eux porte même en breloque une guillotine. Ils déblatèrent contre l’insolence des hobereaux et les abus de l’ancien régime. Il est aisé de prévoir que le docteur Kœnig va parler à la brasserie en avocat des idées libérales et du droit moderne ; aussi passe-t-il aux yeux des aristocrates pour un républicain, un sans-culotte. Ce descendant du chef vandale Ingo a changé la lance et l’épée de son père contre le scalpel et le bistouri ; il s’est voué à l’étude des simples, il purge l’humanité souffrante. Toutes les hérédités héroïques accumulées sur sa tête ont subi la loi d’évolution et se traduisent par le dévoûment à la science. Désintéressé près des riches, généreux envers les pauvres, doutant de ses propres lumières, ayant peu de confiance en ses remèdes, bourrelé d’inquiétude chaque fois qu’il délivre une ordonnance, le docteur Kœnig est un médecin comme il ne s’en voit guère : il a cependant une faiblesse commune à beaucoup d’autres hommes, qui est d’être amoureux.

Un jour qu’il visitait à la campagne la femme d’un pasteur allemand, il vit entrer la fille de la maison qui venait, toute rougissante, lui offrir, selon la mode du pays, du café au lait sous la tonnelle. Il la suivit au jardin, et là, dans un bosquet, comme ils devisaient ensemble, elle lui raconta les joies ingénues de sa jeunesse tranquille, tandis que, commodément assis, il fumait une pipe « dont les petits nuages bleus tournoyaient sous la feuillée verte et s’allaient perdre dans les rayons du soleil. » — A quelque temps de là, il recevait une caisse du presbytère, contenant un bouquet de fleurs nouvelles, et un souvenir plus substantiel, « chef-d’œuvre savoureux de la cuisine et de l’industrie domestiques. » En d’autres termes, la jeune personne envoyait au docteur Kœnig des saucisses de sa façon : « Il mit d’abord les fleurs dans un verre… sous un rayon de lune, resta longtemps à la fenêtre et leva les yeux vers la nuit étoilée. Mais à la fin, il se souvint avec plaisir du ambon et de la saucisse, » et lorsqu’il s’attabla près de la petite