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et saint Antoine de Padoue, qui lui ordonnaient de faire de son fils un franciscain. La maigreur du nouveau-né fut considérée comme l’indice de hautes vertus. Lui-même prit plaisir, longtemps après, à rappeler, dans les fresques de l’hospice de Santo-Spirito, les présages qui avaient marqué ses premiers ans. Infans, attenuate corpore… non obscuro castitatis omine, telle était l’incription tracée au-dessous du tableau où on le voyait étendu à terre, n’ayant qu’un souffle de vie. Ce corps si débile recelait cependant un esprit fortement trempé, une énergie indomptable, mêlée d’emportemens fougueux. Entré chez les franciscains l’enfant se fit promptement remarquer par la vivacité de son intelligence. Ses progrès furent si rapides qu’au bout de peu d’années, il comptait parmi les orateurs les plus éloquens, les écrivains les plus savans de l’ordre. Entendons-nous bien : c’était une science qui n’avait rien de profane, et les discussions dans lesquelles le futur pape déployait ses talens oratoires ne sortaient à coup sûr pas du domaine de la théologie ou de la philosophie scolastique. Les titres seuls de ses écrits autorisent une telle appréciation : l’un traitait de Sanguine Christi, l’autre de Futuris Contingentibus. François della Rovere écrivit également sur la puissance de Dieu, sur la conception de la Vierge, et préparait un grand ouvrage sur la concordance de saint Thomas d’Aquin et de Duns Scot, lorsque la mort de Paul II l’arracha à ses études. Il est fort douteux que le moine franciscain ait semé dans ses compositions ces fleurs de rhétorique, ces élégances si chères ; à ses rivaux les humanistes. En effet, on ne voit pas, dans ses biographies, qu’il ait cherché, comme deux autres de ses confrères en saint François, Bernardin de Sienne et Albert de Sarteano, à fortifier son éloquence par l’étude des modèles classiques, et au besoin à demander des leçons à quelque champion de l’antiquité. Vis-à-vis de l’art, il eût été plus difficile encore au frère François de se régler sur les brillans prélats qui remplissaient alors la cour romaine. Il était si pauvre, quand Paul II le nomma cardinal, en 1467, qu’il dut recourir à la libéralité de ses collègues pour réparer l’habitation contiguë à la basilique de Saint-Pierre-ès-Liens, son titre cardinalice.

Il est difficile, dans une étude sur les papes de la renaissance, de séparer entièrement le Mécène du chef de la chrétienté et du souverain de l’état pontifical. Le nouveau pape, — et à cet égard on est tenté de souscrire au jugement porté sur lui par M. Gregorovius, qui le déclare « abominable en tant que prêtre, » — était avant tout possédé du besoin de domination. Ses passions, longtemps contenues dans le couvent, débordèrent avec une violence qui effraya l’Europe entière. De mémoire d’homme on n’avait pas vu une volonté aussi énergique, éclatant dans les plus petites comme dans les plus grandes