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vanité et une violence dépassant toutes les bornes. Je me trompe ; il y avait chez lui un défaut encore plus grand, c’était la cupidité ; il précède et annonce l’Arétin, joignant, comme lui, une effronterie sans nom à un incontestable talent, et mettant à contribution les souverains de l’Europe entière, depuis le bon roi René jusqu’à Mahomet II, auquel il demanda la liberté de sa belle-mère et de ses belles-sœurs et qui, par une condescendance surprenante chez le farouche conquérant de Constantinople, fit droit à sa requête sans vouloir accepter de rançon. Le système d’exploitation inventé par Philelphe admettait, tout comme celui de l’Arétin, les artifices les plus divers, la menace aussi bien que la flatterie. Philelphe n’était pas moins éclectique en matière de rémunération ; il acceptait avec un égal empressement l’argent, les vêtemens, les comestibles. Tantôt il sollicite, sous forme de prêt, cinquante ducats destinés à compléter la dot de sa fille, tantôt il presse un grand seigneur, qui lui a envoyé du drap écarlate pour un manteau, de lui donner aussi des fourrures pour le doubler ; il craindrait, lui écrit-il, de l’offenser en les demandant à un autre. Ses requêtes restent-elles sans réponse, il éclate en reproches, puis, après une nouvelle mise en demeure, il dirige contre les récalcitrans les traits les plus acérés.

La connaissance du grec, tel avait été le point de départ de la fortune de Philelphe. Que ne faisait-on dans ce temps pour l’amour du grec ! De même que ses compatriotes Guarino de Vérone et Jean Aurispa, Philelphe n’avait pas hésité à s’embarquer pour Constantinople, afin d’y puiser à la source même les élémens de cette langue mystérieuse dont tant d’humanistes italiens, à commencer par Pétrarque, avaient été réduits à admirer de confiance les chefs-d’œuvre. Il y fit des progrès rapides et gagna l’amitié d’un savant riche et célèbre, Jean Chrysoloras, qui lui donna sa fille en mariage. Sa réputation l’avait précédé dans sa patrie. Aussi lorsqu’il revint, au bout de quelques années, portant la barbe à la mode grecque, accompagné de sa belle et jeune épouse, vêtue du costume national, et suivi de caisses contenant des manuscrits, plusieurs universités italiennes se disputèrent-elles le brillant représentant de l’hellénisme. Il opta pour Florence. Son enseignement y obtint un succès éclatant et marqua véritablement une ère nouvelle. Les maîtres les plus éminens, et parmi eux deux futurs papes, Nicolas V et Pie II, s’assirent au pied de sa chaire. Mais Philelphe avait une trop haute opinion de lui-même pour que la naïve expression de sa supériorité n’indisposât pas à la longue ses auditeurs, dont plusieurs, il l’oubliait, étaient ses pairs. Désertion de ses cours naguère si suivis, insinuations malveillantes, critiques plus ou moins acerbes, tels furent les premiers symptômes du mécontentement général. La lutte