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des divertissemens d’un ordre moins relevé. Chaque année, le jour anniversaire de Rome, lors de ces fameuses « feste Palilie », (21 avril), que la Ville éternelle célèbre aujourd’hui encore avec une sorte de respect religieux, Pomponius conviait ses amis, ses élèves à un festin : c’était à qui improviserait avec le plus d’éclat en prose ou en vers.

Ces fêtes, moitié gastronomiques, moitié littéraires, devinrent une des distractions favorites du monde romain. En 1482, l’ambassadeur de Venise offrit aux humanistes fixés sur les bords du Tibre un festin remarquable par la profusion et la délicatesse des mets, et plus encore par l’esprit et l’érudition dont les convives firent preuve. Plus tard un Luxembourgeois, attaché à la cour pontificale, Jean Goritz, acquit une réputation européenne par ses dîners de la Sainte-Anne ; il y réunissait tout ce que Rome comptait d’hommes éminens dans les sciences et dans les lettres. Ce fut chaque fois un déluge de vers ou de discours, tous, naturellement, écrits dans la langue officielle du temps, le latin. Quelques-uns de ces morceaux sont parvenus jusqu’à nous : telle invitation, rédigée par un haut fonctionnaire ecclésiastique, respire une grâce, un enjouement qui n’ont rien à envier à Horace. « Amis, écrit l’un d’eux, en distiques d’une latinité excellente, apportez la gaîté, le sel, les bons mots : la journée de demain doit être consacrée tout entière au plaisir. Et puisque la mort veille à notre porte, buvons, pour que ce long voyage ne nous surprenne pas à jeun. » Sous Léon X, la sévère étiquette dut elle-même plier devant ces innovations, qui n’avaient pas tardé à constituer un véritable besoin. L’héritier des Médicis ne comprenait pas un repas qui ne fût accompagné de la récitation de quelque pièce classique, ou d’improvisations tour à tour spirituelles et érudites. Se doutait-il qu’il devait ces hautes jouissances à l’initiative du pauvre Pomponius Lætus ? Rome a contracté une autre dette encore envers l’ardent champion de la tradition classique. Ce fut Pomponius qui remit en honneur les représentations théâtrales et substitua aux mystères du moyen âge les répertoires de Plaute et de Térence.

Pomponius Lætus mourut comme il avait vécu, laissant à un de ses élèves sa maisonnette du Quirinal, son champ, ses quelques meubles et ses livres. Son dernier vœu ne fut pas exaucé : il avait souhaité d’être enterré dans un sarcophage antique, placé sur la voie Appienne ; mais on jugea plus convenable de lui donner pour sépulture l’église San-Salvatore in Lauro. Ses funérailles n’eurent d’ailleurs rien à envier à celles du plus puissant monarque. Sur l’ordre du pape, — c’était Alexandre VI qui régnait alors, — quarante évêques et d’innombrables fonctionnaires de la cour apostolique