Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

goût. Si l’ensemble de son œuvre force l’admiration, que de réserves à faire quand on en examine les détails ! Peu lui importait que ses architectes fussent des hommes supérieurs ; l’essentiel à ses yeux était qu’ils allassent vite. Aucun des maîtres qu’il appela auprès de lui ne brilla au premier rang. Baccio Pontelli, auquel le père de l’histoire de l’art, Vasari, a attribué la presque totalité des constructions élevées sous ce pontificat, ne fut employé, en réalité, qu’en qualité d’ingénieur militaire ; Giuliano du San Gallo, encore moins bien partagé, fut tenu à l’écart. Quant aux autres architectes, dont les registres conservés dans les archives romaines viennent de révéler les noms, c’étaient des artistes laborieux et intelligens, mais dénués d’originalité et sans puissance créatrice. Si, après avoir passé, en revue les chefs-d’œuvre dont s’enorgueillissaient dès lors plusieurs villes italiennes, la chapelle des Pazzi et le palais Ruccellaï à Florence, le temple de Saint-François à Rimini, le palais ducal d’Urbin, on examine les églises et les palais élevés par Sixte IV, on ne peut se défendre d’un certain sentiment de commisération. Que nous sommes loin de l’ampleur et de la pureté qui distinguent les monumens dus aux Brunellesco, aux Alberti, aux Luciano du Laurana ! Combien les lourds piliers octogones des Saints-Apôtres, combien les façades si maigres et si pauvres de Sainte-Marie du Peuple et de Saint-Augustin, combien les formes hybrides de la chapelle Sixtine ne le cèdent-elles pas à ces libres et fortes interprétations de l’antiquité ! Leurs auteurs, les Meo del Caprina, les Giacomo du Pietrasanta, les Giovannino de’ Dolci, noms qui, après un oubli de quatre siècles, paraissent de nouveau à la lumière, se sont contentés d’appliquer les découvertes de leurs prédécesseurs, renonçant à pousser plus loin dans la voie que ceux-ci ont ouverte. Gardons-nous bien d’ailleurs d’accuser l’insuffisance de leur talent ; ils obéissaient, à leur insu, à une loi de l’histoire : après chaque effort, après chaque pas fait en avant, — et quel pas gigantesque Brunelleschi et Léon-Baptiste Alberti n’ont-ils pas fait faire à leur art ! — ce n’est pas trop du travail de toute une génération pour consolider les conquêtes des initiateurs, pour les faire passer dans le sang et la chair de la nation. Aux puissantes conceptions synthétiques succède le travail des vulgarisateurs, qui s’estiment trop heureux quand ils ont réussi à perfectionner quelque détail. Il faut respecter ces intermédiaires sans lesquels l’humanité, qui ne va pas vite ; perdrait bientôt de vue les hommes de génie avec leurs rapides évolutions.

Telle a été la tâche qu’ont remplie à Rome, sous le pape dont nous écrivons l’histoire, les quatre ou cinq architectes modestes dont nous venons de prononcer le nom. Ils refoulent de plus en plus