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que Montefiasco et Lorette, Turin et Avignon, et bien d’autres villes encore, furent redevables de constructions importantes aux della Rovere, aux Basso et aux Riario ; il serait facile de multiplier ces exemples. On sait que plus tard, sous Léon X, la Transfiguration, de Raphaël, et la Résurrection de Lazare, de Sébastien del Piombo, durent leur origine à des obligations de même nature. Le cardinal de Médicis, mis en possession du riche archevêché de Narbonne, ne crut pouvoir se dispenser d’envoyer un souvenir aux fidèles de son diocèse, et commanda à leur intention ces deux chefs-d’œuvre de la peinture.

Sixte comprit à merveille le secours qu’il pourrait tirer du népotisme, et sa famille, nous nous plaisons à lui rendre cette justice, le seconda avec un rare empressement. Quelle exubérance de vitalité et d’énergie chez ses innombrables neveux, le ban et arrière-ban des della Rovere, des Riario et des Basso, appelés par un coup de fortune inespéré au partage des trésors de l’église ! Jamais, depuis le moyen âge, Rome n’avait vu gent plus avide d’honneurs, de pouvoir, d’argent, ni aussi, il faut l’ajouter, plus capable de soutenir son nouveau rôle. Jamais pape, non plus, ne s’était passionné au même point pour la grandeur de sa maison. Excessif en tout, cet homme sans aïeux, dont la vie s’était passée au milieu de privations de toute sorte, rêva des trônes pour les siens. Il ouvrit cette période de luttes dynastiques où la papauté faillit sombrer. Alexandre VI put s’autoriser de son exemple, lorsqu’il s’efforça de créer un royaume pour son fils. César Borgia ne fit que continuer à son profit l’œuvre de Girolamo Riario.

Une affluence d’étrangers illustres, telle que Rome n’en avait plus vu depuis l’antiquité, favorisa, pendant le pontificat de Sixte, le développement de ce luxe, de cette magnificence dont le pape et ses neveux s’étaient faits les promoteurs. Il serait difficile d’imaginer une société plus brillante, une vie plus riche et plus variée. Ce ne sont qu’entrées solennelles d’ambassadeurs et de souverains, fêtes religieuses, militaires et civiles, divertissemens de toute sorte. Festins dignes de l’ancienne Rome par la recherche et la profusion des mets, chasses épiques, mascarades, tournois, canonisations, représentations théâtrales, inauguration de monumens, joutes littéraires, il n’est spectacle dont les Romains, si avides de ce genre de plaisirs, ne puissent se rassasier. Dans l’espace de douze ans, la Ville éternelle voit tour à tour défiler, outre les ambassadeurs de toutes les cours européennes, outre des prélats venus des quatre coins du monde, tout ce que l’Italie comptait de personnages marquans : Laurent le Magnifique, Eléonore d’Aragon, le roi Ferdinand de Naples, le duc d’Urbin, le duc de Calabre et tant d’autres.