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de satin agrémenté de broderies. On remarquait surtout un enfant vivant, que l’on avait fait dorer et qui, placé près d’une fontaine, dans le costume le plus primitif, jouait le rôle d’ange. A la suite de ce triple vestibule s’étendaient quatorze salies, toutes splendidement ornées.

Le chroniqueur s’étend avec complaisance sur le festin offert à la princesse. Quoique les convives ne fussent qu’au nombre de sept à la première table et de trois à la seconde, on leur servit plus de cinquante plats, dont plusieurs étaient de dimensions colossales, par exemple ceux qui contenaient un cerf ou un ours entier, ou encore deux esturgeons. Pour former ce menu, dont la variété faisait honneur à l’imagination du cardinal et de son maître d’hôtel, on avait mis à contribution tous les règnes de la nature. Certaines associations de mets feraient certainement faire la grimace aux gourmets d’aujourd’hui. Aussi bien l’ordonnateur semble-t-il avoir voulu séduire les yeux plutôt que le palais ; c’est ainsi qu’il poussa la recherche jusqu’à faire dorer le pain. Les tendances de l’époque se révélaient principalement dans la composition des pièces montées, dont plusieurs étaient de véritables monumens. On y voyait Atalante et Hippomène, Persée délivrant Andromède, Cérés sur un char traîné par des tigres, Orphée jouant de la lyre au milieu de paons, le Triomphe de Vénus, les Exploits d’Hercule. A un certain moment, on servit même une montagne dont sortit un personnage qui récita des vers. Les souvenirs classiques éclataient jusque dans l’art culinaire ; on se serait cru revenu au temps de Trimalcion. Ici comme là on prisait, pour employer l’expression d’un contemporain, non-seulement les festins où l’on faisait bonne chère (gulœ servientes), mais encore ceux qui consacraient les droits de l’esprit (cultis et castis animis satisfacientes).

Nous n’en avons pas fini avec les prouesses du cardinal de Saint-Sixte. Le service était digne du menu : une crédence à douze gradins supportait d’Innombrables vases en or ou en argent, ornés de pierres précieuses ; la maison du cardinal était si bien montée que l’on n’eut d’ailleurs pas besoin d’y toucher. Le sénéchal, pendant la durée du repas, changea quatre fois de costume. Après chaque service, on le vit reparaître portant de nouveaux colliers en or, en perles ou en pierres précieuses. Il est fâcheux que le chroniqueur, pour satisfaire de tout point notre curiosité, ne nous ait pas appris combien de temps dura ce festin épique.

Les festins alternaient avec des représentations théâtrales, dont l’histoire sainte et la mythologie fournissaient tour à tour le thème. Lors des fêtes données en l’honneur d’Éléonore d’Aragon, on débuta par le Mystère de la chaste Suzanne et on termina par celui de saint