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parmi les princes de l’église. Au milieu du déchaînement général du luxe, l’austérité ne cessa de compter ses représentans. L’un des plus opiniâtres d’entre eux fut l’évêque de Pavie, le cardinal Ammanati, le favori de Pie II. De temps en temps, on le voyait paraître à la cour pontificale, toujours morose, toujours plein d’ardeur pour la croisade (c’était là, hélas ! le moindre des soucis de Sixte), et n’épargnant ses réprimandes ni à ses collègues ni au souverain pontife. Ce laudator temporis acti se piquait de littérature. Il croyait exceller dans le style épistolaire. Mais la poésie n’était pas son fait ; il le déclare en propres termes à son ami Campano, un des plus fameux versificateurs du temps : a Je ne suis pas hostile à la poésie : les sibylles, les prophètes, ainsi que des hommes célèbres dans l’église se sont exprimés en vers. Mais je ne saurais admettre les idées légères ou impures qu’elle comporte trop souvent. »

Ces moralistes maussades continuèrent de former autour de la papauté un parti qui n’était pas sans force. Ils se maintinrent même à la cour si joyeuse de Léon X. Ennemis jurés de la renaissance, ils ne cessaient de se voiler la face, de gémir sur la dépravation du siècle, de prêcher la pénitence et la contrition, de se répandre en prédictions sinistres. On les tolérait, ne fût-ce qu’à cause du contraste, sans se douter qu’ils deviendraient un jour les instrumens les plus puissans de la contre-réforme, et qu’ils réussiraient à bannir de nouveau la sérénité, la saine et féconde gaîté que la renaissance avait rendues au monde.


EUGENE MÜNTZ.