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de bataille, pour y trouver, non le délassement de ses loisirs, mais l’instrument de ses desseins. « J’ai d’abord commencé, écrivait-il à Voltaire, par augmenter les forces de l’état de siège de seize bataillons, de six escadrons de hussards et d’un escadron de gardes du corps. J’ai posé le fondement de notre nouvelle académie. » Une armée et une académie mises sur le même pied le même jour pour servir la même politique, c’est Frédéric tout entier[1].

Tel il apparut sur la scène aux spectateurs contemporains, tel il se montre à nous dans les coulisses où les publications récentes nous font pénétrer. Le novice de vingt-huit ans se fait voir dès le premier jour exactement et de tout point semblable à ce que sera plus tard le vieux monarque chargé d’années, de gloire et d’expérience. C’est la même variété d’arts au service de la même unité de vues ; c’est une statue coulée en bronze d’un seul jet. C’est par là que les nouvelles révélations sont curieuses et qu’elles donnent un véritable intérêt à des détails qui pouvaient jusqu’ici paraître insignifians.

Ainsi la Correspondance politique s’ouvre par les instructions données aux envoyés chargés de faire part aux diverses cours de l’avènement du nouveau règne. On sait ce que sont d’ordinaire ces missions d’apparat, qui ne consistent guère qu’en un banal échange de complimens. Ici, rien de pareil ; il n’est pas une de ces pièces où l’on ne saisisse l’empreinte d’un génie personnel et comme l’ongle du lion. Celles qui sont adressées aux cabinets de Versailles et de Londres ont en particulier ce caractère. Il est vrai que la situation de ces deux cours, très critique à cette date, donnait à toutes démarches faites auprès d’elles une importance particulière. C’était le moment où, après trente-cinq ans de paix, la France et l’Angleterre allaient reprendre, malgré leurs gouvernemens et sous l’empire de passions populaires irrésistibles, le cours de leur rivalité séculaire. Le ministre anglais Walpole venait à regret, sous la pression de son parlement, de déclarer la guerre à l’Espagne, et le ministre français, le vieux Fleury, de plus mauvaise grâce peut-être encore, se laissait entraîner à prendre part à la lutte, par suite de la solidarité qui unissait les deux trônes de la maison de Bourbon.

Il est curieux de voir avec quelle promptitude de coup d’œil Frédéric prend à l’instant entre les parties adverses une place intermédiaire qui lui permet de mettre son amitié à prix et de la proposer sans détour au plus offrant. Ce rôle de marchandage politique et militaire est celui qu’il jouera toute sa vie dans les querelles européennes, trafiquant de son génie et de ses armes comme un commerçant de ses capitaux, avec cette différence que, pour les

  1. Frédéric à Voltaire. Correspondance générale, 27 juin 1740.