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bonne grâce plutôt que de s’engager dans des procès ou dans des luttes dont l’issue était douteuse ? On désignait en particulier, comme un souverain très acceptable, l’électeur Charles de Bavière, époux d’une archiduchesse (la fille de Joseph Ier), tout aussi bien que François de Lorraine, mais plus Allemand que lui, et qui, déjà possesseur d’un état considérable, l’aurait apporté en dot à ses nouveaux sujets. Le courant du vœu populaire se prononçait en sa faveur, même dans les rues de la capitale. « La princesse n’est pas aimée, écrivait le marquis de Mirepoix, ambassadeur de France ; une partie de la haine et de l’éloignement qu’on a pour le grand-duc retombe sur elle. Tous les vœux sont pour l’électeur de Bavière, et je ne doute pas que, si ce prince paraissait, on ne courût en foule au-devant de lui[1]. » « On entend, écrivait l’ambassadeur de Venise, le murmure de voix tumultueuses qui disent qu’il ne convient pas à la nation d’être gouvernée par une femme et que l’intérêt commun est de faire choix d’un prince allemand[2]. »

Aussi, dans les régions officielles, le trouble et le doute régnaient partout, et tout était perdu si une hésitation eût traversé le cœur de Marie-Thérèse. Mais elle seule ne douta un instant ni de son droit ni d’elle-même. Enceinte de plusieurs mois et tellement ébranlée par la douleur qu’il avait fallu l’éloigner de la chambre du mourant, où elle s’était évanouie plus d’une fois, dès que la Providence eut rendu l’arrêt fatal, elle se redressa en quelque sorte à cet appel. Le jour même, elle fit savoir aux grands fonctionnaires de l’état qu’elle attendait leurs hommages et les reçut assise sous le dais royal. D’une voix forte, bien qu’entrecoupée par la douleur, elle les confirma tous dans leurs emplois, ne leur demandant que de les remplir avec la fidélité qu’ils avaient témoignée à son père ; puis elle ordonna qu’à partir de ce moment, tous les actes officiels seraient rendus au nom de la reine de Hongrie et de Bohême, archiduchesse d’Autriche.

Le lendemain, elle réunissait le conseil privé et prenait séance à sa tête, ayant le grand-duc son époux à sa gauche. Ce dut être un étrange spectacle que cette jeune femme, dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté, entourée de ses conseillers cassés et chenus, dont le plus jeune, nous dit M. d’Arneth, n’avait pas moins de soixante-dix ans. Et il ne faudrait pas croire que ce fussent de vieux serviteurs, nourris dans le respect et le dévoûment pour la race de leurs maîtres et accourus tout en larmes aux pieds de leur nouvelle souveraine. C’étaient, au contraire, des cœurs desséchés par un usage

  1. Le marquis de Mirepoix à M. Amelot, 22 octobre 1740. (Correspondance de Vienne, ministère des affaires étrangères.)
  2. D’Arneth, t. I, p. 170.