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Mon petit cœur, ma fleur de rosier ! le cœur me fait mal à l’idée que tu es si près de moi et que je ne puis voir tes yeux, ta petite figure blanche. Par cette lettre je te salue et j’embrasse toute ta petite personne.

… Mon petit cœur ! je suis navré de ce que m’a dit notre messagère. Votre Grâce m’en veut de ce que je ne t’ai pas gardée chez moi, de ce que je t’ai renvoyée à tes parens. Mais pense à ce qui fût arrivé ! D’abord, tes parens eussent crié partout que j’avais dérobé nuitamment leur fille et que je la gardais comme une concubine. Ensuite, si je t’avais retenue, ni Votre Grâce, ni moi, nous n’eussions pu résister ; nous nous serions laissé entraîner à vivre comme des époux, ce qui nous eût attiré les anathèmes de l’église, puisque nous ne pouvons nous appartenir. Qu’eussé-je fait alors ? J’aurais souffert pour Votre Grâce, j’aurais dû plus tard subir tes reproches et tes larmes.

… Mon tendre amour ! je te prie, je te prie grandement de m’accorder un entretien. Si tu m’aimes, ne m’oublie pas ; si tu ne m’aimes plus, ne garde pas de moi un mauvais souvenir. Rappelle-toi tes paroles, tu m’as juré de m’aimer, tu m’as donné en gage ta blanche main. Je te prie encore, je te prie mille fois de me donner le moyen de te voir, ne fût-ce qu’une minute, pour notre bien à tous deux ; tu y consentais autrefois ! Si tu m’accordes cette entrevue, fais-le-moi connaître en m’envoyant le collier de corail qui pend à l’on cou, je t’en supplie !

… Ton doux petit visage et tes promesses me font languir. Je dépêche à Votre Grâce Mélachka, afin qu’elle convienne de tout avec toi. Ne crains pas de t’ouvrir à elle, elle est fidèlement dévouée à Votre Grâce comme à moi. Je te supplie, en baisant tes petits pieds, mon cœur, je te supplie de ne pas différer ta promesse.

… Tu sais que j’aime Votre Grâce jusqu’à la folie de mon cœur, je n’ai encore aimé si fort nul être en ce monde. C’eût été ma joie et mon bonheur si tu avais pu venir vivre avec moi. Ce n’est qu’en considérant quelle eût été la fin de tout ceci que j’ai reculé devant la haine et la méchanceté de tes parens. Je t’en prie, mon amie, ne change pas ; tu m’en as engagé tant de fois ta parole et ta main ! Moi, tant que je serai vivant, je ne t’oublierai pas.

… Je souffre cruellement de ne pouvoir causer en liberté avec Votre Grâce, de ne pouvoir rien faire pour te consoler dans ta douleur présente. Quoi que Votre Grâce attende de moi, dis-le à la personne que j’envoie. Puisque tes parens maudits te forcent à t’éloigner, va dans un couvent, je saurai alors ce qui me restera à faire pour Votre Grâce. Encore une fois, fais-moi savoir ce que tu veux de moi.

… Quel affreux chagrin de penser que cette mégère ne cesse de torturer Votre Grâce, comme elle l’a fait hier encore ! Je ne sais