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avoir pris dans chacune d’elles un caractère particulier. Quoiqu’elles soient à peu près toutes également corrompues, chacune a son vice préféré qui la distingue des autres. Ce qui a surtout perdu Tarente, c’est son goût effréné pour les jeux scéniques. Les Romains, encore barbares et qui ne connaissaient d’autre divertissement que les courses de chevaux, ne revenaient pas de leur surprise quand ils voyaient les Tarentins passer leur vie au théâtre, y tenir leurs assemblées politiques, et décider de la guerre ou de la paix dans le lieu même où ils applaudissaient leurs comédiens. M. Lenormant pense qu’on peut savoir quel était le genre de pièces qui leur causait un plaisir si vif. Il a remarqué que les vases peints qu’on retrouve dans le pays reproduisent presque toujours les mêmes sujets, et il est tenté de croire que ces sujets sont ceux qu’on représentait d’ordinaire sur le théâtre : ne voyons-nous pas que chez nous les tableaux d’auberge et de cabaret sont très souvent empruntés au roman ou au drame en renom ? Si cette conjecture est fondée, on peut croire que les Tarentins aimaient à rire et qu’ils se plaisaient à voir jouer de grosses farces dont les dieux faisaient ordinairement les frais ; ils y sont représentés dans les situations les plus équivoques et traités avec une irrévérence qui ne laisse pas d’étonner quand on songe qu’à Tarente, comme ailleurs, la comédie faisait partie du culte. Mais on pensait que les dieux ne se fâchaient pas pour, si peu et, suivant le mot de Platon, « qu’ils aimaient la plaisanterie. »

Malheureusement pour Tarente, tandis qu’elle faisait ses délices de ces pièces burlesques et perdait son temps à les écouter, les peuples rudes et pauvres de l’Italie, tentés par ses richesses, attaquaient ses frontières : il lui fallait se défendre. A la rigueur, avec de l’argent, on pouvait lever des mercenaires, mais elle manquait de généraux ; on n’en formait plus dans cette ville amollie. Elle se résignait ordinairement à les aller chercher en Grèce. Là, il n’était pas difficile d’en trouver. Dans ce pauvre pays, déchiré de discordes, en proie à des révolutions périodiques, où les villes voisines se faisaient entre elles des guerres perpétuelles, où dans chaque cité les partis se combattaient sans trêve, où le vainqueur d’un jour était vaincu et banni le lendemain, il y avait sur toutes les routes des généraux sans soldats, des chefs de faction dépossédés, des rois disponibles. A la première invitation, ils s’empressaient d’accourir, et comme il se trouvait parmi eux de vaillans officiers et des politiques habiles, ils remportaient souvent la victoire et rétablissaient les affaires de ceux qui les appelaient à leur secours. Le malheur est que des gens pareils sont souvent plus lourds à leurs alliés qu’à leurs ennemis. Non-seulement il se faisaient payer très largement leurs services, mais une fois établis dans le pays et maîtres de la situation, s’ils trouvaient la place bonne, ils ne parlaient plus de la