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« graviter » pour ainsi dire, sans toujours s’en cendre compte, vers la doctrine des Aristote et des Leibniz, c’est-à-dire vers une doctrine de finalité et de beauté universelle. Auguste Comte, du moins dans la dernière période de sa vie, avait admis que « le supérieur explique l’inférieur. » Littré, tout en se séparant d’Auguste Comte devenu mystique, plaçait parmi les « propriétés » de la matière celle de « s’accommoder à des fins. » Claude Bernard admettait des « idées directrices et organisatrices. » M. Taine, à son tour, disait que la conservation du type est un fait dominateur a qui commande tous les autres. » C’étaient là, pour M. Ravaisson, autant de témoignages qui, joints à d’autres du même genre, lui semblèrent l’indice d’une sorte de conversion des sciences vers la métaphysique des causes finales, fond de sa propre philosophie. — Mais, à voir depuis une douzaine d’années le progrès constant des doctrines contraires, il ne paraît pas qu’on puisse espérer un prochain retour, à la tradition d’Aristote et de Leibniz. Les images ou expressions finalistes empruntées par certains savans au langage vulgaire, et dont se prévaut M. Ravaisson, ne suffisent pas pour constituer une adhésion, même implicite, aux causes finales, pas plus que le « fluide positif et le fluide négatif » des électriciens, simples formules artificielles, n’impliquent l’existence de causes occultes, pas plus que « l’attraction universelle » de Newton n’implique un réel attrait des planètes pour le soleil. C’est le fond des doctrines scientifiques, et non leur forme, qu’il faut considérer. Or, la science moderne tend de plus en plus à remplacer la finalité par le mécanisme.

La finalité, en effet, telle que semble la révéler l’art de la nature, peut être de deux sortes : elle a en vue ou l’utile ou ile beau. L’objet principal de cette étude est la finalité en vue du beau, non celle qui a pour but l’utile ; malgré cela, la première ne se comprend pas sans la seconde. Nous devons donc dire d’abord quelques mots de l’utilité que la nature semble poursuivre.

Le mot d’utilité est ambigu : il peut désigner une utilité intentionnelle, un avantage qui n’existe que parce qu’on l’a pris pour but ; il peut aussi désigner une utilité non prévue, simple résultante mécanique du jeu de forces indépendantes. Dans ce second cas, ce n’est pas l’idée du but qui a produit la disposition des parties, mais chaque partie, agissant pour elle-même et comme si elle était seule, a contribué sans le savoir à la production d’un ensemble qui n’avait pas été prévu : l’adaptation de chaque partie à ses conditions d’équilibre propre suffit pour produire l’équilibre général. De même, dans les êtres vivans, la science moderne explique de plus en plus le concert de l’ensemble par d’action et la réaction des parties, dont chacune agit pour soi, tire tout à soi, ne sent et ne veut primitivement que soi. L’égoïsme de chaque cellule produit le