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expliquer les types et les espèces dans la nature, il est inutile de recourir à des idées ou modèles de beauté imités par la nature comme par un artiste. Le semblable engendre naturellement le semblable. La génération n’est qu’une division de l’être qui engendre et d’où se détache une portion de lui-même nécessairement analogue à lui-même. L’idéal d’une espèce vivante n’est que l’expression abstraite et logique de ses conditions d’existence ; la prétendue idée directrice de Claude Bernard, invoquée par M. Lachelier, est encore une formule détournée de la causalité et de la nécessité. Quant à la « cause finale » des péripatéticiens, qui meut le monde par sa beauté, elle n’est pas mieux justifiée que la cause exemplaire de Platon, dont elle n’est que la reproduction déguisée. C’est par la logique même du mécanisme que le semblable vient du semblable, dont il est le prolongement. Ainsi, au fond, régularité, c’est nécessité, c’est le contraire de la finalité, et surtout de la finalité libre.


IV

Ce que nous avons dit sur l’apparence intentionnelle et sur le fond tout mécanique des harmonies de la nature, nous montre la conclusion à laquelle il faut s’arrêter sur l’objectivité du beau. Supprimons la sensibilité et la pensée, que restera-t-il de beau dans l’univers ? Où est le beau en soi rêvé par Platon ? Où est la beauté suprême et divine dont la nature, selon Aristote, est amoureuse ? Elle se réduit pour la science moderne à la nécessité mathématique.

Sans doute Aristote avait raison, comme M. Ravaisson le remarque, de nier que « les mathématiques n’eussent absolument rien de commun avec l’idée du bien et du beau. » L’ordre, la proportion, la symétrie, ajoutait-il, « ne sont-ce pas de très grandes formes de beauté ? » Mais, nous l’avons vu, si on a le droit de dire que la symétrie mathématique est un principe de beauté, de bien, de plaisir chez les êtres sentans, une fois qu’ils existent, on n’a pas le droit de dire inversement que la beauté et le bien même soient le principe de la symétrie mathématique. Les métaphysiciens de la beauté confondent encore ici l’effet avec la cause. Pourquoi la symétrie nous semble-t-elle belle et bonne ? C’est qu’elle est la forme nécessaire du mécanisme géométrique, et que l’appropriation de notre sensibilité comme de notre intelligence à l’univers devait nous faire un plaisir intellectuel et un besoin intellectuel de tout ce qui est rythmé, coordonné, régulier comme le milieu en dehors duquel nous ne saurions vivre. On l’a vu, c’est une loi du mécanisme même qui veut que les voies déjà ouvertes et frayées soient