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il éviterait de donner des conseils à Berlin, ils seraient intempestifs et inefficaces. Il n’admettait pas que nos difficultés intérieures, que l’ambassadeur attribuait au mécontentement laissé par les événemens de 1866, pussent servir d’argumens en diplomatie ; mais en revanche il se préoccupait de l’existence politique et de l’œuvre de M. de Bismarck : il craignait qu’elles ne fussent en péril. D’ailleurs il lui était difficile de contester un traité invoqué par la Prusse, dont la Russie était cosignataire. « Pourquoi, disait-il en faisant une allusion peu déguisée au traité de Paris, deux poids et deux mesures ? pourquoi maintenir certains traités et en abroger d’autres ? Il serait bien plus simple de déclarer que les anciens traités n’existent plus ; je serai le premier à m’en réjouir… Il est regrettable, ajoutait-il en récriminant, qu’après Sadowa votre souverain ait refusé de se joindre à l’empereur Alexandre ; on aurait pu empêcher les annexions que vous déplorez tardivement. Mais, au lieu de vous y opposer, vous les avez consacrées par la circulaire La Valette, et c’est six mois après avoir donné quittance à M. de Bismarck que vous revenez sur votre approbation. Vous me permettrez de dire que la contradiction est flagrante et que le but que vous poursuivez ne mérite pas l’effort que vous y consacrez. » Ces réflexions étaient justes sans doute, mais elles étaient inopportunes et peu généreuses. Le vice-chancelier en aggravait encore l’amertume en annonçant au baron de Talleyrand qu’il ne pouvait plus être question du voyage de l’empereur Alexandre à Paris tant que notre différend avec la Prusse ne serait pas aplani. Il tenait le succès de l’exposition pour compromis ; il laissait entendre que nous n’échapperions pas à la guerre.

Le prince Gortchakof se dégageait de la solidarité européenne ; il ne proclamait pas ouvertement la politique de la main libre, mais de fait il la pratiquait.

La politique anglaise s’inspirait d’un tout autre esprit ; elle se désintéressait des affaires du continent, mais elle ne marchandait pas son assistance à ceux qui s’efforçaient d’éviter une conflagration générale. Aussi lord Stanley, convaincu de notre modération, nous offrait-il ses bons offices en même temps qu’il résistait aux instances de l’ambassadeur de Prusse, qui cherchait à paralyser ses démarches et lui demandait de s’employer à La Haye pour amener le roi des Pays-Bas à se délier de ses engagemens. Il nous soumettait différentes combinaisons, susceptibles d’être agréées par une conférence européenne. Il nous proposait soit de céder le Luxembourg à la Belgique après le démantèlement de la place, soit de le laisser à la Hollande avec l’engagement de ne le céder à aucune autre puissance. Il proposait aussi de raser la citadelle et de consulter les populations pour savoir à qui elles désiraient appartenir.

Les solutions ne manquaient pas, il s’en produisait de tous les côtés ;