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m’offrirez-vous en cas de succès ? Sans doute un exemplaire richement relié du traité de Prague. » L’épigramme était vive, elle laissait l’envoyé prussien décontenancé. L’envoyé bavarois espérait être plus heureux, les diplomates improvisés ne doutent de rien. Leur confiance est parfois à la hauteur de leur inexpérience.

D’après M. de Tauffkirchen, la France était la brebis galeuse, elle troublait l’Europe, et le seul moyen de la contenir était de la mettre en face d’une solide alliance. La Russie le comprenait ainsi, elle était prête à s’unir à d’Allemagne et à l’Autriche.

Joignant la menace aux instances, l’envoyé bavarois donnait à entendre que, si le cabinet de Vienne laissait échapper l’occasion, les cabinets de Berlin et de Pétersbourg, qui déjà s’étaient concertés sur des questions intéressant la monarchie autrichienne, pourraient bien développer leur entente dans un sens qui ne répondrait ni à ses désirs ni à ses intérêts.

Précisant l’objet de sa mission, M. de Tauffkirchen formulait un traité d’alliance offensive et défensive, garantissant à l’Autriche toutes ses possessions allemandes et temporairement toutes ses possessions non allemandes ; il lui assurait, en outre, une série d’avantages politiques, industriels et commerciaux. Il ajoutait que le temps pressait et que les souverains dont il était le mandataire étaient convaincus que l’empereur François-Joseph n’hésiterait pas à revenir à sa politique traditionnelle. M. de Tauffkirchen se déclarait muni de pleins pouvoirs suffisans pour conclure immédiatement ; il disait qu’il les avait dans sa poche et que, dans vingt-quatre heures, l’Europe pourrait apprendre avec joie que la paix était désormais assurée et garantie.

La réponse de M. de Beust fut nette, concise et résolue. Il fit comprendre à M. de Tauffkirchen que, si la morale politique différait de la morale privée, il était cependant des actes qu’on ne pouvait se permettre à la face de l’Europe sans se déshonorer. « Il y a à peine dix mois, disait-il, que l’empereur Napoléon a arrêté la Prusse aux portes de Vienne et sauvé, par sa médiation, l’intégrité du territoire autrichien, et l’on vient aujourd’hui nous demander de nous liguer contre la France ! Jamais l’empereur François-Joseph ne souscrira à pareille monstruosité, et il ne comprendra pas qu’on ait songé à lui en faire la demande. »

L’envoyé bavarois ne demanda pas son reste. Il renonça à l’audience qu’il avait sollicitée pour remettre à l’empereur François-Joseph une lettre de son souverain ; elle n’était plus de circonstance, il la remporta à Munich. Il fallait la guerre de 1870 et un autre ministre que M. le comte de Beust pour réaliser le rêve de la diplomatie bavaroise.

L’insuccès du comte de Tauffkirchen eut un vif retentissement