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détendue à Berlin, que l’intervention résolue de l’Angleterre et l’obstination de l’Autriche avaient ébranlé les résolutions belliqueuses du roi ? Savait-on qu’il serait plus disposé à céder aux conseils de la Russie qu’à la pression des autres puissances ? Toujours est-il que sans transition le cabinet de Saint-Pétersbourg sortait du silence qui nous avait si péniblement affectés et se mettait en mesure d’enfoncer des portes qui déjà n’étaient plus hermétiquement fermées. Mais, fidèle à sa maxime : Do ut des, il nous demandait en échange du service qu’il allait nous rendre à Berlin, de donner à l’opinion russe « le spectacle d’une intime entente à Constantinople. »

L’empereur ne s’était pas adressé en vain à l’Angleterre. Le gouvernement anglais, malgré les doctrines de Manchester qui prévalaient à ce moment, ne pouvait rester indifférent à un choc de l’Allemagne et de la France, dont le contre-coup jetterait la perturbation dans ses intérêts économiques et financiers. Qui d’ailleurs pouvait prévoir les vicissitudes et les emportemens de la guerre ? Elle laisserait peut-être la Ffance maîtresse de la Belgique, la Prusse maîtresse de la Hollande et la Russie maîtresse de l’Orient. Aussi, lord Stanley et ses collègues, contrairement aux traditions de la politique anglaise, demandèrent-ils à la reine Victoria, après de franches explications sur la Belgique échangées avec le cabinet des Tuileries, de sortir de son deuil pour se faire, auprès du roi de Prusse, l’invocatrice résolue de la paix. « Je sais ce qui s’est passé, disait la reine au prince de La Tour d’Auvergne. M. de Bismarck, bien qu’il le nie aujourd’hui, vous a lui-même encouragés à réclamer le Luxembourg ; je sais aussi que l’empereur se borne à demander l’évacuation de la forteresse et j’ai dit au roi Guillaume nettement toute ma pensée à cet égard. » La reine était convaincue que, si toutes les puissances s’entendaient pour dire énergiquement à M. de Bismarck qu’il avait tort, il céderait. Elle se rappelait le langage qu’on tenait à Berlin, à la veille de la guerre d’Allemagne, et elle s’inquiétait de voir le ministre prussien parler toujours des préparatifs militaires qui se faisaient en France. « Cela donne à penser, disait-elle, et permet de suspecter les intentions de la Prusse. »

Lord Stanley envoyait à Berlin, par un courrier extraordinaire, en même temps que la lettre de la reine, de pressantes instructions à son ambassadeur. Elles devaient enlever au gouvernement prussien toute illusion sur les sympathies éventuelles de l’Angleterre ; elles l’invitaient à déférer aux vœux de l’Europe ; elles rendaient M. de Bismarck en quelque sorte responsable d’un conflit ; elles établissaient que les prétentions de la Prusse n’étaient pas plus fondées en droit que justifiées par les circonstances.

Mais lorsque lord Augustus Loftus se présenta au ministère des affaires étrangères pour s’acquitter des ordres de son gouvernement,