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que l’exploitation commune à l’aide de machines louées ou possédées indivisément, ou la reconstitution de la grande propriété sous la forme de l’association[1].


IV

Ce changement dans les mœurs financières de la France, dont nous venons de reproduire quelques traits, n’est lui-même que la conséquence d’un fait général dont tous les peuples subissent l’influence exclusive, à savoir l’augmentation chez nous, comme partout ailleurs, de la consommation sous ses formes multiples. La politique des états en subit l’ascendant, puisque c’est surtout au bénéfice de la démocratie que la consommation se développe, et qu’aucun gouvernement ne néglige de faire à la démocratie une plus large part dans le maniement des affaires publiques. La science s’inspire de ce besoin irrésistible puisqu’elle s’applique de préférence aux satisfactions matérielles des hommes et accroît si démesurément leur pouvoir sur la nature inanimée. Quelle statistique curieuse à dresser que celle où s’énuméreraient, même sur le point le plus limité de notre territoire, les objets de toute nature consommés aujourd’hui, en les comparant avec leur quotité d’il y a vingt ans seulement, sous le rapport du vêtement, de la nourriture et de l’habitation ! Il n’est pas une heure de notre vie, une occupation de notre temps, qui ne témoigne de ces progrès, dont tout cœur bien placé ne saurait trop se réjouir. C’est là où le sentiment de l’égalité, si vif en France, trouve à s’affirmer, et il serait impossible à l’observateur le plus pessimiste de méconnaître combien le sort de nos populations s’est à cet égard amélioré. Dans quelque lieu que l’on s’arrête, ne trouve-t-on pas la même élégance de vêtemens, le même soin de la coiffure chez les femmes, et les hommes, bien plus lents à se métamorphoser, ne portent-ils pas tous, dans nos campagnes, les mêmes habits que les hommes dans les villes ? distingue-t-on sous ce rapport l’ouvrier du chef et le serviteur du maître ? L’antique alimentation des paysans, où la viande, le vin, le pain de froment faisaient presque toujours défaut, n’est-elle pas aujourd’hui la ressource de rares villages éloignés de toute communication et ne tend-elle pas à faire place partout à une nourriture plus saine et plus abondante[2] ?

  1. Le ministère de l’agriculture vient d’arrêter les termes d’un projet de loi préparé par une commission spéciale, qui peut être d’une grande utilité pour l’exploitation du sol. La loi permettrait aux fermiers d’emprunter en donnant pour gages leurs récoltes et leur matériel, gages exclusivement réservés jusqu’ici aux propriétaires. Ceux-ci ne seraient plus nantis que pour deux ans et demi seulement de ces valeurs dont le total s’élève à plus de 4 milliards. Un acte serait dressé au profit du préteur, et les récoltes ne pourraient être livrées aux tiers qu’après mainlevée.
  2. D’un travail fait récemment par les soins du ministère de l’agriculture et du commerce, il résulte que l’accroissement seul de la consommation a déterminé, depuis un demi-siècle, les augmentations de dépenses suivantes :
    De 20 pour 100 quant aux alimens végétaux, céréales, farineux, légumes ; de près de 40 pour 100 quant à l’alimentation animale, viande, lait, œufs, poisson, etc. ; de 85 pour 100 quant aux boissons indigènes, vin, bière, cidre, spiritueux ; de 20 pour 100 quant aux denrées diverses, sel, sucra, thé, huile, soit 50 pour 100 pour l’ensemble de la nourriture.
    Que si l’on suppose une consommation égale, en ne s’attachant qu’aux variations de prix, l’alimentation végétale coûte 50 pour 100 de plus, les produits fournis par le règne animal et les boissons indigènes 87 pour 100 de plus ; en ce qui concerne les autres denrées, il y a au contraire diminution de 37 pour 100.
    En tenant compte à la fois de l’augmentation de la consommation et de celle des prix, on arrive à cette conclusion que la nourriture du Français représentait sous la restauration une valeur de 90 à 93 francs par tête, de 195 francs à la fin du second empire et que la valeur actuelle est de 205 francs.