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ambition sans scrupule, ou bien encore rester l’arme au bras pour apparaître à son heure sur la scène troublée : tels étaient les trois partis entre lesquels la politique française devait choisir. Par un singulier jeu de la Providence, c’était à un vieillard déjà un pied dans la tombe qu’était remise une décision, la plus grave peut-être que jamais ministre de France ait eu à prendre et dont il a fallu plus d’un siècle pour que notre génération ait vu se dérouler la dernière conséquence.


II

Une anecdote rapportée dans tous les mémoires du temps a le mérite de peindre au naturel la situation d’esprit dans laquelle les événemens qui se précipitaient en Allemagne trouvèrent Louis XV, ses ministres et sa cour. Comme on s’entretenait à Versailles de la mort de Charles VI et de ses conséquences, le roi, d’abord silencieux, finit par laisser tomber d’un air de langueur qui lui était habituel cette parole indifférente : « Nous n’avons qu’une chose à faire, c’est de rester sur le mont Pagnotte. » A quoi l’un des assistans, le marquis de Souvré, répliqua vivement : « Votre Majesté y aura froid, car ses ancêtres n’y ont pas bâti. » Le mot de Louis XV est caractéristique par sa trivialité même. On y reconnaît ce prince tout entier, avec cette justesse de coup d’œil et ce sens pratique dont la nature l’avait doué, qualités précieuses dont la France ne profita jamais, parce que, pour être dignes d’un roi, il leur manqua toujours d’être relevées par un souffle de générosité et soutenues par un ressort énergique de volonté. La réplique du courtisan est plus significative encore, car elle fait comprendre en deux mots dans quelle voie funeste une tradition mal comprise, devenue l’objet d’un faux point d’honneur, allait égarer la politique de la France.

En examinant, en effet, les résolutions diverses que le gouvernement de Louis XV pouvait prendre dans la crise où il se trouvait jeté avec toute l’Europe, on en trouve deux qui, différentes sans être opposées ni tout à fait inconciliables, pouvaient l’une et l’autre être honnêtement adoptées : l’une peut-être plus conforme aux exigences délicates du point d’honneur, l’autre mieux appropriée aux légitimes suggestions de l’intérêt national. Le roi de France pouvait s’empresser, non-seulement de confirmer la reconnaissance, mais de promettre par avance et de préparer l’exécution des engagemens qu’il avait pris par le traité de 1735 envers l’ordre de succession réglé par la pragmatique. C’eût été devancer l’appel de Marie-Thérèse par un élan chevaleresque qui n’est, j’en conviens, ni habituel ni même obligatoire entre souverains. Il pouvait aussi, sans être