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conseil de régence que l’acquisition de Belle-Isle-en-Mer importait à la sûreté des côtes de Bretagne, et d’obtenir ainsi, en place de cette pauvre seigneurie perdue au fond de l’Océan, qui lui rapportait à peine quelques milliers d’écus, de riches domaines, situés dans les plaines les plus grasses de Normandie et qui n’étaient jamais sortis jusque-là de la mouvance de la couronne. Il fut moins heureux dans des transactions d’une nature plus douteuse qu’il essaya sur les fournitures de l’armée, de concert avec le secrétaire d’état Le Blanc et le trésorier de la guerre La Jonchère. Surpris au milieu de l’opération par la mort subite du régent et par la ruine de ses associés, une rancune de Mme de Prie le fit jeter à la Bastille comme accusé de concussion. Mais tant de monde, et surtout tant de grandes dames, s’intéressèrent en sa faveur qu’il fallut se hâter de le relâcher. Bref, en véritable Fouquet, il connaissait le prix de l’argent en fait de galanterie comme de politique, joignait l’art de l’acquérir au talent de le bien dispenser, et quand il tenait grande maison dans son château de Bizy, exerçant sur les bords de la Seine des droits seigneuriaux qui n’avaient jusque-là appartenu qu’au roi, recevant chaque jour les nouvelles de la cour par des billets tracés d’une main féminine, il était bien l’héritier de l’hôte magnifique de Vaux et du surintendant qui n’avait jamais trouvé de cruelles.

Dans le cas présent, les mémoires du temps racontent qu’il avait fait passer deux cent mille francs à Mme de Vintimille pour que son nom fût discrètement prononcé à l’oreille du roi. Bien que l’anecdote soit rapportée en propres termes par l’un de ses meilleurs amis, le président Hénault, je doute que Belle-Isle, qui était bon calculateur, ait fait cette dépense superflue. Dès qu’il s’agissait de combattre en Allemagne, il était désigné d’avance sans avoir même besoin de faire penser à lui. Tout le monde savait que, placé auprès de Berwick dans la dernière campagne et appelé après la mort du maréchal à commander une division de l’armée du Rhin, il avait formé le plan d’une campagne hardiment agressive qui devait être poussée jusqu’en Saxe et même en Bohême, et qu’il en sollicitait le commandement lorsque la paix avait mis fin aux opérations militaires. Depuis lors, il se tenait prêt pour reprendre, au premier signal, son dessein interrompu, et, afin d’en mieux préparer l’exécution, il s’était fait donner le gouvernement de Metz, alors, hélas ! la tête d’une des lignes défensives de la France contre Allemagne et l’un des points de départ naturels de toute attaque. De là, il surveillait tout ce qui se passait sur les deux rives du Rhin et entretenait des relations avec les petits souverains qui se partageaient cette contrée. Ses rapports étaient intimes aussi avec l’électeur de Bavière, dont il se disait un peu parent par sa femme, Mlle de Béthune,