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droits incontestables… Je fais un fond infini sur l’amitié de Votre Majesté et sur les intérêts communs des princes protestans qui demandent qu’on soutienne ceux qui sont opprimés pour la religion. Le gouvernement tyrannique sous lequel les Silésiens ont gémi est affreux, et la barbarie des catholiques envers eux est inexprimable. Si ces protestans me perdent, il n’y a plus de ressource pour eux… Si Votre Majesté veut s’attacher un allié fidèle et d’une fermeté inviolable, c’est le moment : nos intérêts, notre religion, notre sang est le même, et il serait triste de nous voir agir d’une façon contraire les uns aux autres ; il serait encore plus fâcheux de m’obliger à concourir aux grands desseins de la France, ce que je n’ai cependant l’intention de faire que si l’on m’y force[1]. »

Puis enfin, parlant à cœur ouvert à son ministre Podewils, il lui explique sans le moindre embarras la double alternative qu’il tient à se ménager. « J’ai toujours regardé, dit-il le 14 janvier (cinq jours après la lettre à Fleury), la liaison avec la France comme un pis-aller. Aussi il faut tout mettre en œuvre pour nous procurer par la médiation de la Russie et de l’Angleterre la possession d’une bonne partie de la Silésie… Mais au cas que ces deux cours, au lieu de s’y prêter, voulussent s’aviser de prendre hautement le parti de Vienne,.. il n’y aura pas d’autre ressource que de se jeter dans les bras de la France et de forcer pour ainsi dire le destin. » Et, suivant que le jour s’éclaircit ou s’assombrit sur un point ou sur l’autre de l’horizon diplomatique, le ministre reçoit tour à tour deux instructions contradictoires qu’il fera accorder comme il pourra : « Le parti qu’il faudra prendre sera de nous accommoder avec la France et d’ajuster nos flûtes avec les siennes, car l’Angleterre ne voudra jamais nous aider. » Ou bien : « Amusez la France autant qu’il sera possible, jusqu’à ce que nous voyions un peu clair s’il y aura moyen de venir à notre but par l’assistance d’une médiation[2]. »

Pressé de la sorte à intervenir, le gouvernement anglais se décida à se mettre en avant, non pas encore tout à fait en offrant sa médiation, mais en suggérant par l’intermédiaire de son ministre à Vienne, M. Robinson, un accommodement qui paraissait de nature à satisfaire les convoitises d’une partie en ménageant les susceptibilités de l’autre. L’arrangement eût consisté à faire offrir par Frédéric à Marie-Thérèse un prêt de deux millions d’écus destinés à subvenir aux premières nécessités de l’empire, et dont la remise d’une partie de la Silésie entre les mains de la Prusse eût été le gage

  1. Pol. Corr., t. I, p. 185-186. Frédéric au roi d’Angleterre, 30 janvier 1741.
  2. Pol. Corr. t. I, p. 172, 179, 181. Frédéric à Podewils, 5, 11 et 20 janvier 1741.