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qui ne se reconstituent plus une fois qu’elles sont brisées, écrivait-on de Francfort à la date du 11 mai ; le jour où la Prusse a accepté la conférence, elle est sortie du cercle menaçant dans lequel elle s’est retranchée sans pouvoir y rentrer. Le parti de la guerre, quoi qu’on en dise, est vaincu aujourd’hui ; on a rompu avec le patriotisme germanique, et il faudrait des efforts bien vigoureux pour ranimer l’enthousiasme attiédi et retremper les convictions qui déjà se sont familiarisées avec l’idée d’une transaction. » Le 11 mai, on n’en disait pas moins tout haut, dans les cercles diplomatiques de Berlin[1], que le grand conseil se réunirait dans la soirée pour décréter la mobilisation partielle de l’armée. C’était la guerre. Il est vrai que, quelques heures après, on apprenait que le conseil était contremandé. Une dépêche du comte de Bernsdorff était venue à point nommé annoncer que la conférence était arrivée au terme de sa tâche et qu’elle avait signé le traité de neutralisation. Le langage de M. de Bismarck se modifiait subitement, de nouveaux renseignemens l’autorisaient à croire que nos armemens s’étaient ralentis, que les agens chargés de l’achat de chevaux en Hongrie étaient rappelés, et que M. de Goltz, si alarmé naguère ; était revenu sur les inquiétudes qu’il manifestait. « Hier encore, écrivait M. Benedetti, on affirmait que nos arméniens excédaient les bornes de notre défense, que Goltz sonnait la cloche d’alarme ; aujourd’hui que les nouvelles de Londres sont telles qu’on les désire, le président du conseil reconnaît que Goltz rend hommage à la sincérité de nos intentions et que les renseignemens invoqués par les généraux sont démentis par ceux-là mêmes qui les avaient transmis. »

Le mot d’ordre était changé encore une fois ; les visages se déridaient comme par enchantement, le langage redevenait « velouté. » On reparlait de la France avec déférence, on exaltait la haute sagesse de son souverain, on ne se serait pas douté que, la veille encore, il était l’objet d’outrages et de véhémentes récriminations. Tout le monde était pacifique et prétendait l’avoir toujours été. On se vantait d’avoir lutté avec ardeur contre les tendances belliqueuses dont personne ne se souciait plus d’assumer la responsabilité. On ne soutenait plus que le Luxembourg fût terre allemande, ni que sa forteresse fût indispensable à la sécurité de l’Allemagne. On donnait congé aux assemblées populaires, on tempérait l’ardeur des journalistes. Quant au parti militaire, si enclin aux résolutions extrêmes et si peu disposé aux plus légères concessions, il n’en était plus question. On en était à se demander s’il existait en

  1. Lettre de M. Benedetti : « M. de Bismarck a dit au baron de Wimpfen que l’armée serait mobilisée aujourd’hui, si par les résolutions de la conférence et par les déclarations du gouvernement de l’empereur on n’était pas rassuré. »