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père, le fameux guerrier Andréa Braccio di Montone ; il ne connaît point encore l’historien, mais sa renommée est venue jusqu’à lui ; il l’envoie chercher dans son humble auberge, l’installe et le traite dans son palais, le comble de présens et le veut reconduire avec une escorte jusqu’au pied des Apennins, le renvoie enfin charmé de son accueil et frappé de la profondeur et de l’étendue de ses connaissances. Florence voulait acheter sa neutralité dans la guerre dont la menaçait le roi d’Aragon ; elle lui envoie Gianozzo Manetti, le secrétaire de la république, qui lui communique la traduction des derniers manuscrits reçus de l’Orient, lui parle de la Grèce, de l’antiquité, l’éblouit et le charme par sa connaissance des langues orientales et enfin, lui faisant oublier sa réserve habituelle, part avec sa promesse de garder la neutralité. Nous avons sur le séjour de Sigismond à Rome le récit du Pogge et celui de Bartolommeo Platina, dont il recherchait les entretiens. Pendant ses courts séjours à Florence, il vivait avec les familiers de Careggi et essayait de s’attacher les grands artistes qui vivaient dans l’intimité de Cosme et de Laurent. Il commandait en Morée pour les Vénitiens quand il donna une preuve d’un vrai fanatisme pour les lettres grecques et la philosophie. Forcé d’évacuer les Iles, il fit exhumer les restes d’un philosophe platonicien, Gemistio Byzantino, qui n’est autre que le Pléthon, l’un des hommes les plus admirables du XVe siècle, et, sous le prétexte de ne pas laisser sa tombe aux mains des musulmans, il chargea les dépouilles mortelles du philosophe sur sa galère, aborda à Rimini ; et là, pour rendre un solennel hommage au divin Platon dans son plus fervent disciple, il leur donna pour asile le Panthéon de ses ancêtres, dictant lui-même à Roberto Valturio l’épitaphe qu’on lit encore sur le sarcophage.

Il semblait que Sigismond respirât l’antiquité par tous les pores ; il rédigeait les inscriptions de son temple en langue grecque, et c’est à lui qu’on doit, dans les monumens, la substitution des caractères antiques aux caractères gothiques qu’on employait encore vers 1445. On le vit un jour, devant les commissaires de l’armée florentine qui lui remettaient les étendards dont la république lui confiait la garde comme capitaine-général de ses troupes, invoquer dans une chaude improvisation les vertus de son aïeul « Scipion l’Africain. » C’est à Rimini que César, ayant passé le Rubicon, rallia ses compagnons d’armes et les harangua avant de s’engager dans sa marche sur Rome ; ce grand souvenir le hantait, il voulut l’immortaliser et éleva dans le forum de la ville un piédestal de forme antique sur lequel il fit graver une inscription commémorative[1]. Enfin ce petit seigneur d’un domaine restreint et isolé au

  1. C.CÆSAR.DICT.RVBIGONE.SVPERATO.CIVIU.BEL.
    COMMILITONES.SV0S.HIC.FORO.AR.ADLOCVT.
    En 1560, sous le pouvoir des pontifes, on releva le piédestal renversé et on ajouta l’inscription suivante :
    SVGGESTVM.HVNC.VETVSTATE.COLLAPSUM
    COSS.ARIMIN.MENS.NOVEMBRIS.ET.DECEMBRIS.MDLX.RESTITUIT