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hommes, et le combat fut suspendu dans la nuit, mais Pierola n’était pas homme à abandonner la partie. Redoutant qu’une lutte trop prolongée ne décourageât ses adhérens, il quitta brusquement Lima à leur tête, entraînant avec lui la populace soulevée et se porta sur Le Callao, port militaire et faubourg de Lima. Il avait de sérieuses intelligences dans la place ; les forts et l’arsenal lui ouvrirent leurs portes. Maître du Callao, il tenait la clé de la capitale, où le gouvernement se maintenait avec peine au milieu de l’irritation publique. Cantonné dans les forts, il pouvait braver les forces de La Cotera, qui ne tenta pas de le suivre.

Lima offrait alors le spectacle d’une ville en pleine révolution. Tout commerce était suspendu. Les rues silencieuses retentissaient par intervalles de violentes clameurs, du pas cadencé des soldats, du roulement de l’artillerie. Des bandes armées menaçaient les principaux édifices, se dispersant devant les troupes pour se reformer plus loin. Sollicité de déposer le pouvoir en faveur de Pierola, le vice-président tenait bon et se refusait à tout compromis. Sur ses ordres, le général La Cotera dut marcher contre Pierola et tenter de le débusquer du Callao. Accueilli dès sa sortie de la ville par un feu de mousqueterie, La Cotera comprit, à l’hésitation de ses troupes, dont le nombre diminuait d’heure en heure, qu’il allait au-devant d’un échec certain. Rentré à Lima, il rendit compte au vice-président de l’impuissance dans laquelle il se trouvait d’exécuter ses ordres. La Puerta donna sa démission, et le 23 décembre au matin, Pierola rentrait triomphant à Lima, salué par les acclamations de la populace comme chef suprême de l’état. Concentrant tous les pouvoirs entre ses mains, il ajouta à ce titre celui de « protecteur de la race indigène, » pour s’assurer le concours des Indiens et du bas peuple, et s’occupa sans retard d’organiser son gouvernement. Les chefs de l’armée du Sud et Montero lui-même, ennemi et rival de Pierola, reconnurent sans difficulté son autorité ; ils avaient à se faire pardonner leurs insuccès, et à la distance où elles se trouvaient, leurs troupes épuisées étaient hors d’état de tenter un mouvement insurrectionnel.

Pendant qu’une révolution s’accomplissait à Lima, l’amiral Montero, commandant en chef de l’armée péruvienne, recevait à Arica les bataillons épuisés que le général Buendia ramenait de Tarapaca. Malgré sa glorieuse résistance et son inutile victoire, Buendia apprit en arrivant à Arica qu’il était relevé de son commandement et traduit devant un conseil de guerre. L’amiral Montero ne lui permit même pas de rentrer dans la ville à la tête de ses troupes. Il avait hâte d’affirmer sa suprématie. En vertu du traité d’alliance conclu au début de la guerre entre la Bolivie et le Pérou, le commandement en chef des armées alliées revenait au président de la Bolivie, le