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l’évidence, on l’attribua à la lâcheté et à la trahison. On ne pouvait admettre que ce point tenu pour inexpugnable eût pu être enlevé dans un combat de quelques heures ; le colonel Camarra fut arrêté et traduit devant un conseil de guerre. Il n’était coupable que d’avoir partagé l’erreur commune, d’avoir cru ses flancs suffisamment protégés et de n’avoir pas prévu l’escalade hardie qui le plaçait sous le feu plongeant de l’ennemi. Ses troupes et lui s’étaient bravement battus, mais une fois de plus la négligence du commandement et son imprévoyance avaient compromis le succès de la journée. Les armées alliées du Sud étaient définitivement cernées. Maîtres de Moquega et des défilés de Los Angeles, les Chiliens barraient la route aux renforts qu’elles pouvaient attendre du nord. Concentrées à Arica et Tacna, il leur fallait livrer bataille à l’heure et au jour choisis par leurs ennemis, et de cette rencontre décisive dépendait en ce moment le sort de la campagne.

Une concentration des forces alliées s’imposait. Elle s’effectua à Tacna, plus facile à défendre qu’Arica, accessible par mer. Ce rapprochement forcé eut pour résultat d’accentuer la mésintelligence qui existait entre Camacho, commandant de l’armée bolivienne, et l’amiral Montero, chef de l’armée péruvienne. Le traité d’alliance conclu entre la Bolivie et le Pérou stipulait que le commandement en chef appartiendrait à celui des deux présidents sur le territoire duquel on opérerait, mais il n’avait pas prévu le cas où ni l’un ni l’autre ne serait présent. En vertu de son grade supérieur, l’amiral Montero réclamait la direction des opérations. Le colonel Camacho résistait et pressait Campero, président de la Bolivie, de venir se mettre à la tête des troupes. L’impéritie et l’arrogance de Montero l’effrayaient. Impopulaire dans l’armée, ce dernier était encore l’objet de la défiance de ses propres officiers. Quand la fuite de Prado et l’insurrection triomphante avaient porté Pierola à la présidence du Pérou, Montero avait fait acte d’adhésion et de soumission au gouvernement nouveau, mais on n’ignorait, ni dans l’armée, ni à Lima, sa rivalité passée avec Pierola et la haine qu’il portait à son heureux compétiteur. L’état-major péruvien ne doutait pas qu’en cas de succès militaire, Montero, recourant à un pronunciamiento, ne cherchât à soulever l’armée, à proclamer la déchéance de Pierola et sa propre dictature. L’arrogance de son attitude et les imprudences de son langage autorisaient tous les soupçons, et, de Lima, le président Pierola surveillait d’un œil jaloux les opérations de son lieutenant.

Les forces alliées réunies à Tacna s’élevaient environ à 10,000 hommes de bonnes troupes, dont 4,000 Boliviens. Un corps de 2,000 hommes occupait Arica. Deux plans de campagne se trouvaient en présence. L’amiral Montero était d’avis de se tenir sur la