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cabinet homogène, c’était qu’il y eût un chef pensant pour tous ses collègues, commandant un bataillon de collaborateurs dociles, il a choisi tout simplement, sans compter, sans distinguer, dans son entourage, des hommes de bonne volonté et de soumission. Il a fait des ministres de camaraderie ou de fantaisie, il a même créé de nouveaux ministères pour satisfaire sa clientèle, sans se demander s’il avait le droit de décréter des dépenses permanentes et assez inutiles. Il a complété sa collection de ministres par une collection de sous-secrétaires d’état, — après quoi l’œuvre a été accomplie, la république a eu son gouvernement.

Soit ! on n’a pas le grand ministère, on aura peut-être un grand programme, on l’a cru un instant du moins. Malheureusement encore le programme n’a pas été plus brillant que la composition du ministère. La déclaration qui a été lue contient un certain nombre de banalités, d’assurances vagues que le gouvernement le plus insignifiant ne désavouerait pas, — la paix maintenue avec dignité, l’ordre garanti, le progrès mesuré, mais incessant, les réformes démocratiques, les dégrèvemens combinés de façon à alléger les charges sans compromettre les finances, etc. Cette banale déclaration, elle n’a l’air de prendre un peu plus de précision que sur deux points, sur la révision constitutionnelle imaginée pour corriger le sénat, et sur la « stricte » application du régime concordataire dans les rapports de l’état avec l’église. Encore est-il difficile de savoir ce qu’on entend par cette « stricte » application du régime concordataire et par cette réforme constitutionnelle « limitée, » qui doit remettre à l’un des pouvoirs essentiels du pays en harmonie plus complète avec la nature démocratique de notre société, » Le fait est que déclaration et cabinet ont été reçus avec une singulière froideur dans les deux chambres, au Palais-Bourbon aussi bien qu’au Luxembourg, l’un et l’autre ont été une déception autant qu’une surprise, et du grand programme comme du grand ministère, c’est provisoirement tout ce qui reste ! C’était bien la peine d’être depuis trois ans l’embarras de tous les ministères, de peser de tout son poids sur la politique, de se réserver ce rôle de prépotence et d’intervention, à l’heure décisive, de se faire précéder de tant de fanfares, pour en venir, — à quoi ? A la constitution d’un cabinet capable de faire regretter ou absoudre les cabinets qui l’ont précédé. Voilà une étrange manière de marcher « lentement, mais fermement » dans la voie du progrès !

C’est qu’en effet tout semble singulier dans cette aventure de l’avènement d’un ministère. Il faut bien s’entendre : si le cabinet qui vient de naître de la volonté de M. Gambetta a été reçu avec une froideur si peu déguisée, avec une surprise mêlée d’ironie, ce n’est nullement parce qu’il se compose d’hommes jeunes ou peu connus, D’abord ces nouveaux ministres ne sont pas tous si jeunes et si inconnus ; ils ont pour la plupart, ce nous semble, dépassé l’âge des illusions, et s’ils