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révolutionnaires. Cette confusion commençait à être visible lorsque les chefs du radicalisme espagnol se réunissaient cet automne à Biarritz pour se concerter sur un programme, sur le système de conduite à suivre dans les élections. On n’avait pas réussi à s’entendre, et, tandis que M. Ruiz Zorrilla, M. Salmeron, restaient plus que jamais irréconciliables, tandis que M. Pi y Margall, allant plus loin que M. Ruiz Zorrilla, poursuivait son rêve de république fédérale, d’autres républicains, M. Martos, M. Montero Rios, rentraient à Madrid pour former un nouveau groupe, pour se présenter aux élections. M. Marfos, l’autre jour, dans le congrès, s’est expliqué en homme qui, sans abandonner ses opinions révolutionnaires, ne serait pas loin de se prêter aux circonstances, de se créer une façon d’opportunisme. M. Castelar, par son éloquence comme par ses idées de démocratie conservatrice, reste toujours à part. Il a déployé toutes les richesses de sa parole pour concilier ses vieilles opinions républicaines et sa bonne intention de ne créer aucun embarras au gouvernement nouveau. C’est l’homme des luttes légales, des propagandes de l’esprit, et il ne déguise pas ses antipathies contre les agitateurs stériles. Ce n’est pas tout : une autre fraction démocratique, qui a mis jusqu’ici son idéal dans la constitution de 1869 et qui compte dans les chambres des représentans distingués, M. Moret y Prendergast, l’amiral Berenger, le marquis de Sardoal, cette fraction tend ouvertement aujourd’hui à se rapprocher du gouvernement. L’alliance a été presque scellée en plein parlement. La politique de ce groupe, dont M. Moret est le plus habile orateur, consisterait en définitive à mettre un peu plus de démocratie dans la monarchie telle qu’elle est, même avec la constitution de 1876. Avant M. Moret, le général Serrano et ses amis, plus ou moins engagés dans les dernières révolutions, avaient fait avec éclat acte d’adhésion à la royauté nouvelle, et le général Serrano personnellement s’était exprimé de façon à ne point laisser de doute sur ses sentimens de loyauté. De sorte que, tout compte fait, dans ce mouvement encore assez confus, le noyau des révolutionnaires irréconciliables semble notablement diminué. Il y a des nuances d’opinion, des manières différentes de comprendre la monarchie constitutionnelle, des dissidences entre conservateurs et libéraux, souvent compliquées peut-être de rivalités personnelles : les hostilités radicales tendent à désarmer. C’est comme un élargissement du cadre constitutionnel, où le souverain reste l’arbitre entre des opinions se disputant la direction des affaires sans mettre en doute la royauté elle-même. Il est certain que le cabinet Sagasta-Martinez Campos, par sa politique, n’est point étranger à cette situation nouvelle, et il a pour lui jusqu’ici l’appui d’une majorité assez nombreuse qui s’est déclarée en sa faveur dans les récentes discussions de l’adresse.

Est-ce à dire qu’il n’y ait pas quelque ombre à ce tableau et que le