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du tout au tout le caractère de l’enseignement ; elle crut pouvoir diminuer de moitié la durée des études littéraires et, ce qui était plus grave encore, placer un intervalle de deux années entre les études littéraires du premier et celles du second degré ; c’est-à-dire entre les langues anciennes et les belles-lettres. Aux termes de la loi du 3 brumaire : an IV, la première et la troisième section seulement contenaient des matières littéraires la seconde était entièrement consacrée aux sciences. En sorte qu’après avoir appris de douze à quatorze ans la syntaxe avec l’histoire naturelle et le dessin, les élèves des écoles centrales se mettaient aux mathématiques et à la chimie, pendant un même laps de temps, pour ne reprendre le cours de belles-lettres qu’à seize ans. On se figure aisément combien cette interruption dut être fatale aux humanités. Véritable bifurcation, bien autrement radicale que celle que nous avons vue fonctionner ; de nos jours, elle fut cause en grande partie de la désertion des divers cours de belles-lettres et de l’abaissement du niveau même de l’enseignement. En effet, de deux choses l’une : ou les jeunes gens qui sortaient de la seconde section la tête pleine de mathématiques, mais ayant oublié le peu de grec et de latin qu’on leur avait appris dans la première renonçaient à faire leurs humanités, ou bien ils passaient outre, et alors il arrivait que le professeur était obligé de proportionner son enseignement à la faiblesse de son auditoire et par conséquent de le dénaturer. La correspondance des professeurs de belles-lettres est pleine des plus fortes représentations à ce sujet : tous, ou peu s’en faut, se plaignent de l’état d’ignorance de leurs élèves et de la nécessité où ils sont de remonter avec eux jusqu’aux premiers principes.

Cette scission des études grammaticales et littéraires était déjà grave et justifierait à elle seule un jugement ; sévère. Mais que penser d’un plan d’études, où l’histoire et la langue nationale elle-même étaient reléguées dans la dernière section ? Passe encore pour l’histoire ; en supprimant Auguste et Trajan ; le moyen âge et les papes, Henri IV et Louis XIV, il ne devait pas être tout à fait impossible aux professeurs des écoles centrales de remplir en deux ans le vaste programme dont ils étaient surchargés. Mais la langue et la littérature nationale, à quoi pensaient Lakanal et Daunou lorsqu’ils proposèrent, à quoi pensait la convention lorsqu’elle vota l’article qui renvoyait cette branche d’études à la fin des cours ? Ce n’était pas précisément le moyen de révolutionner le ci-devant français, comme le voulait Grégoire, ni de substituer à la langue de l’esclavage (c’est-à-dire du XVIIe siècle) la langue de la liberté. Talleyrand était plus conséquent lorsqu’il inscrivait dans le programme de ses écoles cantonales, un cours de langue française. Lui aussi voulait régénérer le français de Bossuet qu’il trouvait arriéré ; mais du moins