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voilà ce qu’un coup d’œil un peu exercé n’eût pas manqué de saisir et que la convention n’aperçut pas. Elle imagina de remplacer la logique des anciens collèges par l’étude approfondie du discours et par des considérations à perte de vue sur les différentes parties qui le composent. Était-ce un progrès ? Il est permis d’en douter, sans faire tort à Port-Royal.

Ses meilleurs amis conviennent qu’avant Grimm, Humboldt, Bopp et Burnouf, la grammaire générale n’était guère moins hasardée que la physique de Descartes « sans les expériences, et ne pouvait être que provisoire et bien courte comme résultat. » On ignorait trop de langues, a dit excellemment Sainte-Beuve, trop de familles entières de langues. On construisait avec une simple formule de pensée ce qui présente une quantité de formes et de diversités imprévues dans la nature. Quand on a vu sourdre du sol primitif d’autres langues que le grec et le latin, quand l’Orient, par-delà l’hébreu, s’est révélé et graduellement est apparu comme versant de toute antiquité, sur ses pentes, les trois ou quatre grands fleuves primordiaux de la parole humaine ; quand les anciens idiomes celtiques en leurs fragmens brisés se sont découverts et qu’il s’est rencontré même des langues compliquées de peuplades barbares, on a reconnu que c’était à recommencer sur un autre plan ; la méthode naturelle des langues a pu naître. »

Sans doute la convention ne pouvait soupçonner cette méthode naturelle, ni prévoir la révolution que la connaissance du sanscrit et du zend devait apporter dans la linguistique. Mais, sans être prophète, il semble qu’elle eût pu se dispenser de faire figurer, dans ses programmes, une science aussi peu définitive que la grammaire générale. Si elle voulait à tout prix emprunter quelque chose à Port-Royal, que ne lui prenait-elle sa Logique, à l’exclusion du baroco et du baralipton, que Sainte-Beuve n’y a pas découverts et qui s’y étalent pourtant tout à leur aise ? Cela n’eût pas encore été merveilleux comme couronnement d’études littéraires ; car, suivant un mot bien juste et bien piquant de leur historien, messieurs de Port-Royal avaient « le style clair et triste[1] » et leurs ouvrages ne sont pas précisément des modèles de grâce à mettre entre les mains de jeunes gens. Toutefois, à défaut d’un cours complet de philosophie, quelques notions de logique n’eussent pas été déplacées dans l’enseignement des écoles centrales. Ce cours existait déjà dans l’ancienne organisation des études ; il fallait le maintenir.

  1. Sainte-Beuve attribue ce défaut aux habitudes de grammaire générale et à l’abus qu’en faisaient les solitaires : « Cette façon de tout traduire en raison, dit-il, si elle sert la philosophie, court risque de frapper dans une langue beaucoup de locutions promptes, indéterminées, qui, bien qu’elles aient leur raison, ne l’ont qu’insensible et secrète et en tirent plus de grâce. »