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Ce ne fut pourtant que trente-neuf ans après la mort de l’empereur Douschan que les Turcs, ayant mis la main sur Adrianople, Philipopoli, et subjugué les Bulgares, songèrent à dominer la Serbie. Amurad Ier, successeur de Orcan, lequel, quoique musulman, avait épousé la fille de Gantacuzène VI, empereur de Byzance, vint avec son armée camper à Kossovo, en plein territoire serbe. De jeunes captifs chrétiens convertis à l’islamisme et portant le titre de janissaires figurèrent pour la première fois dans les rangs de cette armée.

Le tsar Lazare régnait alors en Serbie. Il se porta à l’encontre de l’ennemi avec tout ce que l’état serbe contenait d’hommes valides. Hélas ! malgré des efforts héroïques, malgré le dévoûment d’un voïvode du nom de Miloch Obivilich, qui, pénétrant sous la tente du sultan, l’égorgea au milieu de son armée, les Serbes furent vaincus. Le tsar Lazare, fait prisonnier, eut la tête tranchée. Les conséquences d’un tel désastre, on les devine. L’empire de Douschan disparut. L’esclavage, un esclavage hideux, pesa désormais sur les Serbes. Pendant plus de quatre cents ans, la nuit se fit sur leur pays : les Turcs y régnaient.

Des forêts impénétrables, une indépendance toujours assurée dans des montagnes inaccessibles à l’ennemi, de sombres monastères où se transmettait de générations en générations le plus pur patriotisme, sauvèrent heureusement les Serbes de la mort politique et morale. Le désastre terrible de Kossovo resta gravé dans leur mémoire ; il fut mis en vers populaires, et cette poésie psalmodiée dans de mystérieuses réunions, loin des Turcs oppresseurs contribua beaucoup à perpétuer chez ce peuple infortuné le souvenir de son ancienne puissance. A la fête du saint qui protège en Serbie chaque village et chaque famille, des parens éloignés, des amis accouraient ; dans ces réunions intimes on parlait longuement et religieusement des gloires et des malheurs de la vieille Serbie… Selon que les chants avaient pour motif des triomphes ou des défaites, les vieillards poussaient des cris de joie ou faisaient entendre des plaintes. Les femmes et les enfans pleuraient quand l’épisode de Kossovo, accompagné de la gouslé, était lentement chanté par une voix triste et émue.

Les Turcs, méprisant trop les vaincus pour faire opposition aux croyances religieuses, permirent aux malheureux Serbes de conserver leur organisation ecclésiastique, d’élire leurs évêques et leurs patriarches. Un pacha, un cadi et un évêque grec, venus de Constantinople, représentaient la puissance ottomane en Serbie. Il y venait aussi des soldats, des janissaires ayant droit à la dîme et à des corvées de plus de cent jours. C’était pour ces farouches