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leur concours diplomatique. La Russie seule donnait à réfléchir au ministre des affaires étrangères. L’attitude de sa diplomatie manquait de netteté, elle était contradictoire. M. de Budberg tenait « un langage encourageant ; » il faisait bon marché « du territoire sacré de la Germanie ; » il blâmait les procédés de la Prusse et laissait entendre « qu’on n’était pas content d’elle à Pétersbourg. » Mais à Berlin, M. d’Oubril se montrait réservé avec notre ambassadeur, il évitait de s’épancher avec lui ; il suivait d’un œil insouciant la transformation qui s’opérait en Allemagne ; il restait insensible aux violences que subissaient les princes allemands unis à sa cour par les liens d’une étroite parenté. Quant au prince Gortchakof, il parlait de l’Allemagne le moins possible ; il ne s’intéressait qu’aux affaires orientales. L’Orient était pour lui le pivot de la politique européenne. Il rehaussait sa tendresse pour les Candiotes et son mépris pour les Turcs par des citations de Corneille et de Voltaire. Il avait la passion de nos classiques, il les possédait à en remontrer à la diplomatie française. Mais le Luxembourg n’avait pas le don de stimuler sa verve littéraire. Lorsqu’il en parlait, il songeait à la Crimée et à la Pologne. Le caractère et le tempérament des hommes d’état varient à l’infini. Il en est de vaniteux ; on n’en connaît guère de modestes. Il en est de craintifs, d’irréfléchis et de téméraires, de chimériques et de réalistes : le prince Gortchakof était rancuneux. Il avait introduit dans la politique un élément dangereux : le ressentiment. C’est par ressentiment qu’il avait laissé écraser l’Autriche en 1866. C’est par ressentiment qu’en 1870, il assista impassible au démembrement de la France, et c’est avec des arrière-pensées ambitieuses inspirées par la rancune, qu’au début de l’affaire du Luxembourg, dans sa phase la plus aiguë, il se tenait dans une attitude équivoque et marchandait au gouvernement de l’empereur le concours résolu que lui donnaient l’Autriche et l’Angleterre.

L’empereur, d’habitude si facile à convaincre et à ramener, résistait aux instances pacifiques de ses entours. Les souverains personnifient la dignité et l’honneur de leur pays, et c’étaient la dignité et l’honneur de la France qui étaient en question. L’empereur n’admettait pas qu’il pût transiger. Les journaux officieux reflétaient sa pensée. « On n’ignore pas à Berlin, disaient-ils, que la France considère toute intervention de la Prusse dans la question du Luxembourg, comme contraire au droit international. Nous ne craignons pas de nous avancer trop en disant qu’à aucun prix la France n’admettra l’ingérence du cabinet de Berlin dans une affaire qui est de la compétence du roi de Hollande. On voit que ce n’est pas seulement la cession du Luxembourg qui est en jeu, mais une question d’indépendance intéressant tous les gouvernemens