Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Luxembourg nous était refusé, l’alliance hollandaise nous échappait : nous étions échec et mat.

Il fallait songer à la retraite et sortir, sans y laisser notre honneur, de l’impasse où nous étions acculés. M. de Moustier ne devait pas faillir à cette tâche.

La France serait-elle en état de subir la guerre, et quels seraient ses alliés ? Conviendrait-il mieux de se renfermer dans une position expectante, d’éviter toute communication officielle avec le cabinet de Berlin, de renoncer provisoirement au grand-duché et de s’en remettre aux puissances signataires pour décider de l’évacuation du Luxembourg ? Telles étaient les graves questions qui s’imposaient aux méditations du gouvernement de l’empereur.

La parole était avant tout au ministre de la guerre. Sa réponse ne pouvait être douteuse, notre impuissance était manifeste. L’armée avait périclité entre les mains du maréchal Randon. Il n’avait rien vu pendant son long ministère de la transformation militaire qui, depuis 1860, s’opérait en Prusse. Il avait laissé la guerre s’engager à nos portes sans représenter à l’empereur que, si les événemens devaient forcer la France à intervenir pour sauvegarder ses intérêts, il n’aurait pa*s d’armée à mettre au service de sa politique. Il avait écrémé nos cadres, vidé nos arsenaux, épuisé nos crédits militaires pour satisfaire aux dévorantes exigences du Mexique. Aucune de nos places fortes n’était en état de défense ; nous n’avions ni effectifs, ni chevaux, ni munitions, ni matériel ; nous étions littéralement à la merci d’un coup de main. Tout était à créer et à refaire en face de la Prusse victorieuse, hautaine, menaçante.

Le maréchal Niel était un cœur patriotique et une vive intelligence. Il ne recula pas devant la tâche que l’empereur lui imposait tardivement. Il devait comme M. de Moustier succomber à la peine[1]. Il affirmait le succès sans y croire, il tenait à relever le moral de l’armée. À l’entendre, au jour des rencontres, la victoire ne serait pas incertaine. Il avait la verve gasconne, tempérée par la réflexion et le sang-froid. Il disait aux généraux découragés en face des provocations prussiennes : « Graissez vos bottes, messieurs, nous allons entrer en campagne. » C’était son expression favorite. Mais, dans l’intimité, en présence de ses aides de camp, il ne cachait pas ses tristesses. Il leur disait que jamais il ne donnerait à l’empereur le conseil de faire la guerre sans alliés et qu’il se ferait couper en quatre plutôt que de lui permettre de la provoquer.

On se sent soulagé devant de tels caractères ; ils vous l’ont oublier

  1. Sa mort causa en Allemagne un véritable soulagement. On comprit que la France venait de perdre le seul homme capable de hâter et de mener à bonne fin la réorganisation de son armée.