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Le meilleur moyen de renouer cette amitié traditionnelle, c’est d’en finir avec d’inexplicables ombrages, de ne point se mettre en campagne contre des dangers ou les mauvais vouloirs qui n’existent pas.

Les voyages et les entrevues des princes jouent toujours un grand rôle dans les affaires de l’Europe, on le sait bien. L’Italie est allée à Vienne. La Russie, de son côté, est allée cet automne à Dantzig. Maintenant, le nouveau ministre autrichien, le comte Kalnocki, réussira-t-il dans sa négociation pour préparer une rencontre tout amicale de l’empereur Alexandre III avec l’empereur François-Joseph ? Si cette entrevue nouvelle se réalise, elle n’aura certainement qu’une signification toute pacifique et elle ne peut pas avoir un autre caractère. La Russie, pour sa parti est peu en mesure de s’engager dans des entreprises extérieures, même dans des combinaisons diplomatiques à longue échéance ; elle est loin d’être délivrée de ses dangers intérieurs, des conspirations révolutionnaires qui semblent plus que jamais se réveiller. Un attentat nouveau vient d’attester l’implacable obstination des sectes. L’attentat a été dirigé, cette fois, contre un des chefs adjoints du ministère de l’intérieur, le général Tchéverin, qui a fort heureusement échappé au meurtrier. Le ministre de l’intérieur lui-même, le général Ignatief, aurait dit tout récemment, assure-t-on, que maintenant c’était son tour, qu’il avait été prévenu. Il n’est pas le seul haut fonctionnaire de l’empire qui ait reçu des menaces de mort, et l’empereur, tout le premier, ne laisse pas d’être exposé a ces cruelles tentatives. Le fait est que le fanatisme des révolutionnaires russes ne recule devant rien, ni devant l’assassinat, ni devant l’incendie. Les nihilistes ont déjà prouvé plus d’une fois par de tristes et sanglans exemples leur implacable activité ; ils paraissent recommencer leur sinistre campagne en répandant partout une sorte de terreur, et un procès politique qui vient d’être jugé à Saint-Pétersbourg prouve d’une manière saisissante les ravages de la propagande révolutionnaire, la puissance des conspirations. Comment faire face à cette situation si profondément troublée ? Y réussira-t-on en supprimant, comme on vient de le faire ; la publicité des débats pour certains procès politiques, en décrétant l’état de siège, en reconstituant un ministère de la police à la tête duquel on placerait le général Tchéverin, en remplaçant au ministère de l’intérieur le général Ignatief par le comte Schouvalof, comme on le dit de temps à autre ? Bien des expédiens, bien des palliatifs ont été déjà essayés : ils n’ont pas réussi, et il serait assurément difficile de savoir ce qui peut guérir ou même atténuer le mal profond et invétéré qui dévoré là Russie.


CH. DE MAZADE.