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diplomatique une dépêche d’alarme ; elle préparait l’Allemagne et l’Europe à la guerre. M. de Bismarck mettait l’empereur personnellement en cause, ce qui était peu courtois, et ce qui l’était moins encore, il le montrait entraîné inconsciemment à des résolutions inquiétantes pour la paix par les partis hostiles qui tramaient sa chute, et même par ses entours, qui méconnaissaient ses intérêts dynastiques. Il tenait à séparer le souverain du pays ; c’était une tactique, la même dont il devait se servir en 1870, mais en sens inverse, alors qu’il montrait dans les proclamations du roi l’empereur plus belliqueux que la France.

M. de Bismarck, comme de raison, exaltait les sentimens pacifiques et inoffensifs de la Prusse ; il se refusait à croire que l’empereur voulût porter atteinte au sentiment national de l’Allemagne, dont il ne pouvait ignorer l’intensité, pour le plaisir de s’annexer un petit pays sans importance territoriale ou stratégique. Il espérait qu’il ne compromettrait pas les fruits de sa sagesse passée, qu’il renoncerait au système d’agression et de convoitise du premier empire, dont on retrouvait les tendances dans une lettre récente du comte de Chambord et dans les discours de M. Thiers.

La dépêche était irritante au dernier chef. Il n’est pas d’usage de faire intervenir un souverain dans un document de chancellerie, de lui tracer une ligne de conduite, d’affecter pour ses intérêts dynastiques une sollicitude déplacée, de lui dénoncer ses amis et de prêter à ses adversaires des projets subversifs et antipatriotiques. Frédéric II avait peu de scrupules, il jouait et raillait volontiers ses adversaires, mais il n’avait pas les traditions poméraniennes ; il avait l’ironie légère, il s’inspirait de l’esprit de Voltaire.

La dépêche prussienne ajouta une blessure nouvelle à tant d’autres ; on n’en était plus à les compter, mais elle arrivait trop tard, déjà on était décidé à ne céder à aucune provocation. « La blessure reçue ici, il ne faut pas le dissimuler, écrivait M. de Moustier à la date du 6 avril, est profonde, et la confiance dans les intentions de M. de Bismarck d’autant plus justement ébranlée qu’on arrive difficilement à s’expliquer autrement sa conduite que par un piège tendu à notre bonne foi. Nous avons été bien près de la guerre ; des inspirations plus modérées ont heureusement prévalu. Beaucoup de personnes croient fermement que la Prusse a eu l’intention de nous y provoquer et nous y provoquera encore. On peut opposer cependant à cette opinion bien des faits et des raisonnemens. Bien peu croient que M. de Bismarck soit sincère quand il veut nous faire entendre, comme le comte de Goltz l’a essayé vis-à-vis de l’empereur et de moi, qu’après le départ du Reichstag les choses tourneront à notre satisfaction. Je m’arrangerai dans tous les cas pour laisser la porte ouverte à toutes les bonnes inspirations du cabinet de Berlin