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seul homme en état de venir à bout d’une réforme jugée indispensable et de triompher des résistances du sénat. En effet, la commission des finances du sénat conclut au rejet de la nouvelle loi votée par la chambre; le rapporteur, M. Saracco, M. de Cesare, le comte Bembo et les autres adversaires de la mesure reproduisirent les objections qui avaient prévalu l’année précédente : la précarité de l’équilibre budgétaire, la nécessité de mieux doter les services publics, l’incertitude de l’avenir, les dangers qu’un échec ferait courir au crédit italien, le caractère conjectural des prévisions budgétaires, enfin la préférence à donner soit à la réduction de la dette, soit aux mesures préparatoires à l’abolition du cours forcé. La mauvaise récolte de 1879 leur fournissait un nouvel argument; pour soulager la détresse des populations et assurer du travail aux ouvriers, le gouvernement avait dû demander d’urgence des crédits au parlement et faire voter l’exécution de divers travaux et la construction de routes, dont les dépenses devaient être couvertes par la vente d’une certaine quantité de biens ecclésiastiques. Un débat des plus vifs et des plus approfondis s’engagea devant le sénat. Tous les membres du gouvernement intervinrent pour soutenir le projet de loi, mais le poids de la discussion fut porté par le ministre des finances, qui remplit à lui seul les trois séances des 19, 20 et 23 janvier 1880. Les discours prononcés par M. Magliani dans ce mémorable débat lui font le plus grand honneur; ils sont d’une clarté et d’une précision irréprochables; ils abondent en vues sages et en aperçus lumineux : c’est le langage d’un économiste politique et d’un véritable financier. En lisant les discussions des chambres italiennes, on ne peut s’empêcher de remarquer l’importance qu’on y attache à des différences de 2 ou 300,000 francs et la minutie avec laquelle on fait entrer en ligne de compte les moindres recettes et des dépenses qui nous sembleraient insignifiantes : ce souci de l’exactitude et cette rigide économie sont bien éloignés de l’imprudente légèreté avec laquelle, en France, ministres et chambres accroissent les dépenses ou réduisent les recettes de sommes qui se chiffrent par dizaines de millions. Le contraste est trop frappant pour passer inaperçu.

Si pénible que le vote hostile du sénat eût été pour M. Magliani, ce ministre n’avait point sujet de le regretter. Ce vote avait eu deux conséquences heureuses : en allégeant les charges qui, sans cet acte de prudence, auraient pesé sur l’exercice 1879, il avait rendu meilleure la situation présente; en répartissant, par le fait, sur cinq années au lieu de quatre la suppression de l’impôt, il fortifiait les calculs que le ministre avait présentés pour l’avenir et il faisait disparaître les éventualités de déficit que celui-ci avait dû prévoir. La